Ultime opéra de Mozart, testament philosophique du grand compositeur, « La Flûte Enchantée » ou « Die Zauberflöte » était un choix tout indiqué pour l’Opéra Royal de Wallonie pour apporter à cette fin d’année joie, rêve, féérie et magie.

C’est la rencontre d’Emanuel Schikaneder et de Mozart qui est à l’origine de la création du chef d’œuvre qu’est « La Flûte Enchantée ». Les deux hommes se connaissaient déjà, tous deux étant Francs-Maçons. Artiste polyvalent, Schikaneder est à la fois acteur, chanteur, metteur en scène et poète. En 1789, il reprend avec sa trouve la direction du « Theater auf der Wieden », et il enchaîne les productions destinées à un public populaire. Ce qui n’empêche pas les aristocrates de fréquenter assidument son établissement. En 1790, Mozart et Schikaneder ont pu longuement échanger sur leur vision du théâtre et il devient évident qu’ils se rejoignent sur beaucoup de points. Mozart commence donc à travailler avec la troupe et compose notamment « La Pierre Philosophale ».

P. EDELMANN – T. KUHN © J Berger – ORW-Liège

En 1791, Mozart, qui est alors en grande difficulté financière, est séduit par la proposition de Schikaneder, qui lui demande de composer un Singspiel, c’est-à-dire un opéra en allemand, où des dialogues parlés alternent avec des passages musicaux chantés. Cette forme rend le Singspiel beaucoup plus accessible à tous, d’autant qu’il est en langue vernaculaire, alors que les opéras classiques se chantaient en italien à cette époque.

Le théâtre de Schikaneder possède des possibilités techniques intéressantes, permettant de nombreux effets spéciaux et des changements de décors qui sont nécessaires pour traiter un opéra dont le sujet est un conte fantastique, ancré dans le merveilleux.

L. KANKOVA © J Berger – ORW-Liège (2)

Les sources de l’opéra sont très variées. Il est d’ailleurs difficile d’en établir une liste exhaustive. Mentionnons la principale ; le recueil de contes de fées de Christophe Martin Wieland intitulé « Dschinnistan », publié entre 1786 et 1789. Ce recueil a souvent servi de base aux livrets de la troupe de Schikaneder. Et pour la « Flûte enchantée » mise en musique par Mozart, c’est « Lulu ou la flûte magique » qui a fourni la colonne vertébrale de l’histoire. Schikaneder et Mozart ont également puisé divers éléments dans d’autres contes, notamment la notion de rite initiatique. Quant à la structure du texte et la typologie des personnages, elles ont été inspirées par un autre opéra féerique de Paul Wranitsky, « Obéron ». Enfin, la mise en scène des rites et la notion de rite initiatique ont été inspirées par « Thamos, roi d’Egypte » de Tobias Philipp von Gebbler. Cette multiplication des sources, qu’il est impossible de toutes citer ici, explique la complexité de l’œuvre, qui est toujours sujette à de nombreuses analyse actuellement.

O. TROMMENSCHLAGER © J Berger – ORW-Liège

L’intrigue

L’histoire de «La Flûte Enchantée » commence avec le prince Tamino, attaqué par un serpent géant. Alors qu’il est sur le point de succomber, il est sauvé par l’intervention de trois dames qui appartiennent à la Reine de la Nuit. Un peu plus tard, elles lui remettent une image de la princesse Pamina, fille de la Reine de la Nuit, dont Tamino tombe immédiatement amoureux. Les dames lui apprennent alors que Pamina est prisonnière d’un sorcier puissant et mystérieux, Sarasto.

Tamino part alors à la recherche de la princesse, rejoint dans sa quête par Papageno, un oiseleur, homme simple, et souvent drôle. Les deux hommes recevront chacun un cadeau : le prince, une flûte magique et Papageno, un carillon enchanté.

D. BIJELIC – P. EDELMANN – J. BAILLY – M. GHAZARIAN – G. PELLIGRA © J Berger – ORW-Liège

Lorsque les deux hommes arrivent chez Sarasto, ils se rendent compte que la réalité est bien plus complexe qu’ils le pensaient. Sarasto n’est pas l’homme cruel qu’on leur avait dépeint mais un homme sage, plein de bonté, et qui cherche à éclairer le monde et chacun. Il accueille Tamino et Papageno avec bienveillance.

Pamina est, elle, bien isolée. Gardée par Monostratos pour le compte de Sarasto, elle ne comprend pas encore bien que ce dernier veuille en fait la protéger et l’éduquer dans les voies de la sagesse et de la vertu. D’ailleurs quand Monostratos commencera à la poursuivre de ses assiduités, Sarastro le chassera, ce qui amènera son serviteur à rejoindre le camp de la Reine de la Nuit.

J. MURENGEZI – B. RESENDE – P. EDELMANN – R. JOAKIM – A. KULAGIN – O. TROMMENSCHLAGER © J Berger – ORW-Liège

Pour l’heure, Pamina et Tamino se rencontrent et tombent amoureux l’un de l’autre. Mais pour prouver leur amour, ils vont devoir subir une série d’épreuves initiatiques, notamment la purification par l’eau et le feu qui symbolisent la purification de l’âme.

L’un des moments les plus célèbres de l’opéra est l’aria de la Reine de la Nuit, « Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen » (La vengeance de l’enfer bouillonne dans mon cœur), dans laquelle elle implore sa fille Pamina de tuer Sarastro. Cependant, Pamina refuse d’accomplir cet acte maléfique et choisit la voie de la compassion et de l’amour.

L. KANKOVA © J Berger – ORW-Liège

Pendant ce temps, Papageno, qui désire ardemment trouver l’amour, est également récompensé par la découverte de Papagena, une compagne qui lui est destinée.

L’opéra atteint son apogée lorsque Tamino et Pamina, après avoir surmonté toutes les épreuves, sont réunis. Sarasto et ses prêtres célèbrent la victoire de la lumière et de la sagesse sur les ténèbres, symbolisée par la défaite de la Reine de la Nuit.

Une œuvre tout à fait innovante

Mozart s’investira totalement dans la composition de « La Flûte Enchantée ». A ce moment de sa vie, il est libéré de la tutelle pesante de son père, qui est décédé, et des règles de la musique de cour. Schikaneder est le directeur d’un théâtre couru par différentes couches de la société, et il n’a pas besoin de subsides. A eux deux, ils vont pouvoir créer une œuvre totalement novatrice, qui offre plusieurs niveaux de lecture. De nombreux livres et articles ont été consacrés à l’analyse de ce « singspiel », néanmoins considéré aussi comme le premier opéra allemand.

A. LORENZI ©J Berger – ORW-Liège

Dans sa forme « La Flûte » est tout aussi innovante. Mozart mélange différents genres musicaux, opera buffa, opera seria, choral luthérien, ariette viennoise ou encore lied populaire, que le public pourra aisément fredonner en sortant de la représentation.

L’œuvre est à la fois un drame sacré, une fable maçonnique, une histoire d’amour ou plutôt des histoires d’amour entre Tamino et Pamina et Papageno et Papagena, une lutte de pouvoir sans pitié entre Sarasto et la Reine de la Nuit, un opéra d’apprentissage, un conte féérique, et une farce populaire, avec les interventions pleines d’humour et de légèreté de l’oiseleur.

M. GHAZARIAN – G. PELLIGRA – J. BAILLY – D. BIJELIC © J Berger – ORW-Liège

Le personnage de Tamino grandira tout au long de l’opéra, il subira plusieurs épreuves, soutenu par Papageno et surtout par Pamina, qui lui indiquera comment utiliser sa flûte. Ce cheminement de l’enfance à l’âge adulte fait de cette œuvre un cheminement universel qui a un écho évident, universel chez chacun.

Le rôle de la femme est également tout à fait nouveau. Même si plusieurs propos dans le livret, semblent foncièrement misogynes, le prince Tamino fera une grande partie de son voyage initiatique avec Pamina. Celle-ci le soutiendra et lui donnera les clés de l’utilisation de la flûte magique. A la fin de l’opéra, les deux jeunes gens seront initiés tous les deux. Si on ne peut pas qualifier cet opéra de « féministe » avec notre vision actuelle, Mozart accorde néanmoins un rôle important aux femmes. A l’époque, les femmes ne peuvent être initiées dans les loges autrichiennes, à l’inverse des loges françaises.

P. EDELMANN © J Berger – ORW-Liège

Un opéra maçonnique

Mozart et Schikaneder ont bâti le livret et la musique autour de symboles maçonniques : le chiffre trois (Les trois dames, les trois garçons…), l’opposition entre l’ombre et la lumière, les épreuves initiatiques, l’omniprésence des 4 éléments (terre, eau, air, et feu) ….

Ce sont les Maçons qui portent la philosophie des Lumières à l’époque. Sarastro et ses prêtres font irrémédiablement penser aux despotes éclairés, aidés de leurs conseillers.

J. BAILLY – Maîtrise – M. GHAZARIAN © J Berger – ORW-Liège

Les éléments féériques habillent de magie la découverte de soi, que les jeunes prince et princesse, ainsi que Papageno dans une moindre mesure, opèrent. Papageno apprend à dominer plus ou moins ses pulsions, Tamino abandonne ses rêves d’enfant pour un monde plus raisonnable, où la vérité tient une place prépondérante. Sarastro démontre tout au long de l’histoire l’importance de la tolérance et de la sagesse, le refus de la vengeance et de la violence. Quant à Pamina, elle aussi quitte l’enfance, en coupant le lien fusionnel qui l’unit à sa mère, en refusant de commettre un crime odieux.

Maçons ou non, les spectateurs peuvent s’approprier les messages universels véhiculés par « La Flûte Enchantée », dont le principal est sans aucun doute l’amour, qui accompagne les personnages, sauf la Reine de la Nuit et ses serviteurs/servantes qui sombrent dans le néant.

Maîtrise – G. PELLIGRA © J Berger – ORW-Liège

Une distribution sans faux pas

La représentation de l’œuvre a largement enchanté le public liégeois. La mise en scène de Cécile Roussat et Julien Lubek est une totale réussite. Le décor d’Elodie Monet figure à merveille les dimensions féérique et onirique de l’histoire. La présence d’un lit immense dans lequel Tamino est un peu perdu, une garde-robe, des livres de contes de fées d’où sortent les personnages guident le spectateur au long de l’histoire. Les jeux de lumières sont maîtrisés, les jaunes associés à la lumière, la clarté de Sarastro, ce personnage sage et solaire. La Reine de la nuit est accompagnée d’une atmosphère bien plus sombre, crépusculaire.

La présence d’acrobates et de jongleurs sur scène renforce le côté « farce », humoristique, funambule du récit.

P. EDELMANN – A. LORENZI © J Berger – ORW-Liège

Dans le rôle de Tamino, Giulio Pelligra a promené sa voix au timbre si clair de notes graves aux aigus parfaitement maîtrisés. Tanja Kuhn a été une Pamina perdue, tourmentée, amoureuse, courageuse, décidée, faisant passer énormément d’émotion dans ses airs. Lucie Kaňková a été étourdissante dans le rôle de la Reine de la Nuit, avec le célébrissime air « Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen » qu’elle a interprété sans faille, lançant ses notes les plus aiguës avec puissance et une imparable justesse. Le rôle de Sarastro était tenu par Aleksei Kulagin, une voix de basse chaude, profonde, représentant parfaitement la densité du personnage.

G. PELLIGRA © J Berger – ORW-Liège (2)

Merveilleux et pétillant Papageno, Paul-Armin Edelmann a donné à son interprétation chaleur et légèreté, profondeur et humour, une très belle voix de baryton, parfaitement en harmonie avec Papagena/Adèle Lorenzi avec sa voix claire et pétillante. Si Monostratos n’est pas un personnage franchement sympathique, Olivier Trommen-Schlager lui a donné des accents vraiment sincères grâce à son interprétation tout en finesse. Les trois dames de la Reine de la Nuit ont été interprétées par les sopranos Dušica Bijelić et Marie-Juliette Ghazarian et la mezzo-soprano liégeoise Julie Bailly. Drôles, espiègles, magnifiquement en harmonie, elles ont fait preuve d’un grand talent musical et scénique, enrichissant la performance d’une belle énergie primesautière.

Signalons la très belle performance des enfants de la Maîtrise de l’Opéra, jouant les trois enfants. Bien que leurs rôles étaient loin d’être faciles, d’autant plus qu’ils devaient chanter en allemand, ils ont fait preuve de beaucoup de talent et le public qui ne s’y est pas trompé, les a applaudis chaleureusement, ce qui était largement mérité.

D. BIJELIC – J. BAILLY – M. GHAZARIAN – L. KANKOVA – O. TROMMENSCHLAGER © J Berger – ORW-Liège

Et enfin, que serait un opéra sans la baguette du chef d’orchestre. L’américain Christopher Franklin, qui avait déjà dirigé Adriana Lecouvreur la saison dernière, a dirigé l’orchestre de l’ORW de façon énergique, enjouée quand il fallait, sensible à d’autres moments, il a également très bien géré le chœur de l’opéra, qui, une fois n’est pas coutume, a dû démontrer son talent du fond de la fosse d’orchestre, et non sur scène.

Un spectacle idéal en cette fin d’année.

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Nous avons eu la chance d’interviewer la soprano Jessica Pratt pour Culturius !