Cent ans après sa mort, une femme est mise à l’honneur, et quelle femme ! Le Petit Palais à Paris consacre à celle que l’on connaissait d’abord comme une comédienne, une rétrospective magnifique qui rend à Sarah Bernhardt sa véritable dimension. Comédienne en effet mais aussi peintre, sculptrice, écrivain, femme d’affaires, voyageuse et influenceuse avant l’heure, elle a fréquenté les plus grands de son époque et a assumé ses engagements. La superbe mise en scène de cette exposition majeure nous donne la délicieuse impression de rencontrer la « star » dans son salon.

« Quand même »

Telle est la devise que la jeune fille choisira à son entrée à la Comédie-Française. Enfant illégitime, elle fut confiée dès la naissance à une nourrice puis dès son plus  jeune âge au couvent d’où elle sortit pour se voir proposer le mariage par sa mère courtisane. C’est le duc de Morny, protecteur de cette mère peu aimante qui lui offre une issue de secours en lui suggérant de passer le concours du conservatoire. Elle le réussit en 1859 à quinze ans et entame dès lors une ascension fulgurante que rien ni personne ne pourra arrêter.

C’est le début d’une vie libre qui la verra devenir  mère à vingt ans, démissionner de la Comédie-Française presque vingt ans après y être entrée la seconde fois, triompher aux Etats-Unis dans la foulée, voyager à travers le monde entier, expérimenter les technologies nouvelles pour enregistrer son image et sa voix. La devise prend tout son sens quand on la voit faire face à ses détracteurs misogynes, antisémites ou simplement conservateurs, choqués par ses audaces sur scène et dans la vie.

La tragédie

Mettez-la au conservatoire ! Et je devinais que cette phrase était le poteau indicateur de ma vie

Ma double vie, Sarah Bernhardt

Le répertoire de Sarah Bernhardt est particulièrement prestigieux. Une salle est consacrée aux rôles phares de sa carrière et l’on découvre les costumes, les maquettes de décors, les affiches et des photographies des représentations de La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas-fils, Ruy Blas de Victor Hugo, Phèdre de Jean Racine, Hamlet de Shakespeare ou L’Aiglon d’Edmond Rostand pour n’en citer que quelques-uns.

Elle connaît son premier grand succès au théâtre de l’Odéon en 1869 en incarnant Zanetto dans Le Passant de François Coppée, un poète encore inconnu. Elle y est travestie en troubadour et le sera à maintes reprises notamment pour le rôle de L’Aiglon qu’elle jouera à 56 ans ! C’est toutefois le rôle de Doῆa Maria, reine d’Espagne, dans Ruy Blas en 1872 qui fera sa renommée et lui vaudra de réintégrer la grande maison de Molière dont elle sera sociétaire en 1875. Il faut noter que certains auteurs comme Victorien Sardou lui  écriront des rôles sur mesure, Théodora et  La Tosca lui assureront de véritables triomphes. La pièce fétiche du « Monstre sacré » comme l’appela Jean Cocteau restera La Dame aux Camélias dont l’agonie de la scène finale la rendra à jamais immortelle.

 Dans la scène finale de La Dame aux Camélias, Napoléon Sarony, vers 1880.

L’engagement

Je suis fille de la grande race juive et mon langage un peu rude se ressent de nos pérégrinations forcées

Sarah Bernhardt

Sarah Bernhardt est dreyfusarde et elle  soutient Emile Zola quand il publie son article « J’accuse » dans L’Aurore. La lettre qu’elle lui écrivit au lendemain de sa parution est sans ambiguïté et ne pourra que vous émouvoir : « Laissez- moi vous dire, cher grand maître, l’émotion indicible que m’a fait éprouver votre cri de justice (…) Merci Emile Zola, merci Maître aimé. Merci, merci au nom de l’éternelle justice. ». Ses origines juives ont été maintes fois critiquées et elle a été la proie des caricaturistes qui lui attribueront tous les stigmates imputés au judaïsme. Marie Colombier écrit un violent pamphlet à son encontre qui la mettra dans une colère à la mesure de la trahison de cette actrice qu’elle avait pourtant engagée dans sa tournée américaine.

Elle avait à cœur de défendre la liberté des femmes et considérait l’art comme un fabuleux vecteur d’émancipation. Elle en fut un exemple vivant tout au long de sa carrière en multipliant les domaines explorés, ce qui fut largement illustré dans la presse satirique de l’époque. Ses audaces de tous ordres  alimentèrent les articles et  les conversations des salons parisiens. Ainsi par exemple, une mémorable ascension en ballon en août 1878 qui lui valut les foudres de l’administrateur de la Comédie-Française et scandalisa les bien-pensants. En dépit de cela et au regard d’une vie remarquable et remarquée, elle est promue au grade de chevalier de la Légion d’honneur en 1914 et à celui d’officier en 1921.

Sarah Bernhardt en ballon, Louis Lemercier de Neuville, vers 1878 (Carton peint et tissu).

Citoyenne engagée et patriote, elle passe son brevet de secouriste pour soigner les blessés de la guerre contre les Prussiens en 1870. Dans le théâtre de l’Odéon transformé en « ambulance militaire », elle accueille les soldats dont elle panse les plaies pendant le siège de Paris. Elle s’engagera de la même façon auprès des poilus devant lesquels elle se produira avec « le théâtre des armées » terminant chacune de ses représentations par l’exclamation : « Aux armes ! » suivie de l’hymne national. Elle écrira par ailleurs une pièce intitulée Du théâtre au champ d’honneur et participera au film de Louis Mercaton, Mères françaises à la gloire des victimes de la guerre en 1917.

Sarah Bernhardt, amputée depuis peu suite à une tuberculose osseuse du genou, portée sur le front en chaise à porteurs, vers 1916.

La démesure

La vie est courte , même pour ceux qui vivent longtemps

Ma double vie, Sarah Bernhardt

L’actrice vit dans un appartement au décor digne d’une grande production, un joyeux bazar ponctué d’éléments macabres où les étoffes colorées, les meubles précieux comme le monumental miroir sur pied surmonté de sa devise et les souvenirs de ses voyages côtoient un cercueil capitonné de satin blanc, un vrai squelette ou un vampire en plein vol. Un univers qui fera le bonheur de Pierre Loti et Oscar Wilde. Il faut dire que de santé fragile, Sarah s’est vue mourir à plusieurs reprises et qu’elle a assisté à la longue agonie de sa sœur Régina, emportée par la tuberculose à 18 ans. Nul doute que ce contact intime avec la mort lui donnera le goût de la provocation et de la dérision face à une issue fatale contre laquelle le combat est perdu d’avance !

L’été, elle quitte la capitale et met le cap sur la Bretagne, plus précisément Belle-Île- en-Mer où elle a fait l’acquisition d’un fort désaffecté puis du château de Penhoët entre Landes et Océan à La Pointe des Poulains. Un documentaire réalisé par Louis Mercanton en 1912 diffusé à la sortie de l’exposition montre le quotidien de la comédienne en villégiature avec son fils, ses petites filles et ses amis les plus proches.

Comme Rosa Bonheur à qui j’ai consacré un précédent article, Sarah Bernhardt sacrifie à la mode des animaux sauvages domestiqués et s’entoure de fauves, de singes, de caméléons et de perroquets. On dit que son alligator meurt d’une overdose de champagne et qu’elle doit tuer d’un coup de revolver le boa qui dévorait les chiens de la maison. Extravagance d’un autre temps ! 

Promenade et cueillette de fleurs à proximité du fortin, Sarah Bernhardt intime, Louis Mercanton, 1923.

L’élégance

 

La reine de l’attitude et la princesse des gestes

 Edmond Rostand

Les photographies de Nadar et les peintures de Georges Clairin et Louise Abbéma entre autres montrent une enfant, une jeune fille et une femme de toute beauté. Ses tenues somptueuses semblent passer de la scène à la ville avec un naturel déconcertant et elle sera l’ambassadrice de la haute couture française aux États-Unis où elle popularisera des formes et des accessoires empruntés au vestiaire théâtral comme au vestiaire masculin.

La grande découverte de cette exposition a été pour moi Sarah Bernhardt en sculptrice. Son autoportrait en marbre blanc, un maillet dans la main est un concentré d’élégance. Plusieurs de ses œuvres, sculptures et tableaux sont exposés ici. Initiée au  dessin pendant ses années de  pension, elle se consacre aux arts plastiques au début des années 1870 alors qu’elle s’ennuie au théâtre. Elle aménage un atelier et approfondit ses connaissances auprès de sculpteurs et de peintres émérites. Ses œuvres seront exposées au Salon des artistes français à plusieurs reprises.

Elle n’hésite pas à prêter son image aux publicitaires pour vanter les mérites de produits cosmétiques mais aussi alimentaires pourvu qu’elle soit confiée à de grands artistes comme Alfons Mucha ou Jules Chéret. Associer son nom à un biscuit ou un alcool paraît bien sûr indigne à beaucoup mais l’artiste fait preuve là encore d’un grand modernisme, elle comprend les retombées positives de « la réclame » tant sur le plan de sa célébrité que sur celui de ses finances.

Riche collections d’affiches publicitaires à l’effigie de Sarah Bernhardt.

L’aventure

Rien n’est impossible, il faut le risquer

Ma double vie, Sarah Bernhardt

La comédienne réalise plusieurs tournées à l’étranger, ce qui est quasiment inédit à l’époque pour une femme. Elle alterne à partir de 1880 les scènes parisiennes et les scènes internationales, organise ses voyages en remplissant des dizaines de malles de costumes et d’accessoires qui la suivront dans les cabines de nombreux bateaux et les wagons  de nombreux trains. En 1880, lors de sa tournée aux États-Unis, tel Buffalo Bill, elle est acclamée sous le chapiteau de cirque où se presseront les américains curieux de découvrir celle que l’on appelle désormais « la Divine ».

 Devant la tente où elle joue à Dallas, 1906.

Quand elle rentre à Paris, la comédienne reprend sa casquette de directrice de théâtre. Après le Théâtre de la Renaissance viendra le Théâtre des Nations qu’elle rebaptisera de son nom et dont elle fera une scène incontournable après l’avoir rénové et modernisé. Elle y remplit tous les rôles, de la décoratrice à la metteuse en scène et elle y incarne bien sûr plus de quarante personnages dont l’Aiglon commandé spécialement à son ami Edmond Rostand.

L’aventure continue avec le cinéma pour lequel elle tournera jusqu’à la veille de sa mort. Ses œuvres muettes bien sûr mais très expressives feront elles aussi le tour du monde. La Reine Elisabeth sort en 1912 sur les écrans américains et permet au producteur Adolph Zukor d’asseoir la puissance de la Paramount. Elle sera également à l’affiche de Ceux de chez nous de Sacha Guitry en 1915 et elle fera pleurer une dernière fois la foule de ses admirateurs devant ses funérailles retransmises au cinéma dans les Actualités du 26 mars 1923.

Ainsi vécut la grande Sarah Bernhardt au gré de ses envies et de ses passions, entourée d’amours et d’amis fidèles, ainsi continue de vivre « la voix d’or », vénérée par ses admirateurs qui continuent cent ans après sa mort de perpétuer sa mémoire.

N’hésitez pas à passer comme moi de l’autre côté du miroir pour entrer dans l’intimité d’une star et l’écouter à votre tour.

Miroir sur pied de Sarah Bernhardt avec sa devise « Quand même », Edouard Lièvre, vers 1875

Infos pratiques

Exposition « Sarah Bernhardt Et la femme créa la star », au Petit Palais jusqu’au 27 août 2023.

Et pour approfondir votre visite, installez-vous dans les jardins et feuilletez :

– L’autobiographie de l’artiste : Ma double vie, Sarah Bernhardt, Libretto.

– Le catalogue de l’exposition, Editions Paris Musées.

Avant de peut-être vous rendre à Belle-Île-en mer pour visiter le fort et la villa de la Pointe des Poulains, un espace entièrement dédié à Sarah Bernhardt ! Infos à : mailto:maisons-de-site@ccbi.fr.