Place aux années 2020, avec au programme : dessins automatiques gribouillés de calculs et
d’ennuis téléphoniques, cours de sculpture tonique et mouvementée, dessins hyperréalistes et foule de personnes, sans oublier les botakids et la musique !

La rentrée au Botanique c’est :

L’inauguration de trois expos qui accueilleront Boris Thiébaut au Muséum, Aymeraude du
Couëdic
à la Galerie, et pour la première année Alexandra Mein inaugure l’espace des
serres! Une programmation de concerts comme toujours de l’équipe du Botanique, mais
aussi en concertation avec Boris Thiébaut, liée à l’exposition du Muséum, et en son sein de
nouvelles programmations musicales et ateliers pour les enfants. Sans oublier un
rendez-vous important pour le monde de l’art : l’ouverture du festival Art on Paper, le 2
octobre, à noter.


Au Muséum, Boris Thiébaut nous invite dans un double travail artistique, celui d’une
scénographie d’exposition XXL, alimentée d’une édition photographique qui s’ouvre et se
referme sur les instantanées de son quotidien : une friche citadine, un voyage de
l’ordinaire artistique à travers des pages malléables et texturées qui offrent une véritable
balade à la main.

© Boris Thiébaut


Un écho du dehors que l’on retrouve dans la suite de cette programmation plastique sous
la main d’Alexandra Mein. Alexandra invite au chaud les spectateurs à contempler sa
conversation avec les sculptures du jardin du Botanique depuis les serres. Un nouvel enjeu
d’espace à investir que le musée offre en résidence à l’artiste. Un pari brillamment relevé, puisque le dialogue avec l’espace y est doux. De l’eau au verre, à la mise en mouvement
des sculptures extérieures : aucune matière n’est laissée pour compte; des couleurs aux
textures jusqu’aux lumières, toutes se font belles de jour et conteuses de nuits.
Cette ingéniosité de matières bénéficiera d’une permanence avec une mise à plus grande
échelle de son essai placé en fin de couloir, auprès des autres sculptures du Jardin du
Botanique.


Côté galerie, c’est au tour d’Aymeraude du Couëdic de s’inspirer de l’espace clos. La
dessinatrice y revoit cet espace au travers d’une installation circulaire d’ombres et
d’individus en « mouvement statique ». Un tour de manège digne d’un panoptique orwellien, dont l’espace immersif enferme le spectateur à la croisée des regards. Si Alexandra Mein parle à l’intérieur avec l’extérieur, Aymeraude du Couëdic nous fait revivre, elle, un extérieur à l’intérieur, dans un sentiment de déjà-vu étrange, exagéré et déconcertant.

Big Mother, Aymeraude du Couëdic, 2019 © Aymeraude du Couëdic / Cargocollective.com


Soyez ponctuels ! Le Botanique vous propose d’autres rendez-vous avec
pas moins de 5 concerts qui accompagnent l’exposition de Boris Thiébaut : Mocke, la Voie
chimique des Cavités, Farida Amadou, investiront l’espace d’exposition.
Les exercices scolaires y trouvent aussi leur compte puisque Jade et Isa du Bota ont
concocté à nos petits angelots sept concerts et autres ateliers pour faire d’eux de vrais
botakids de la culture !
Info de choix enfin : si vous êtes du genre retardataire, rappelez-vous que chaque
dernier dimanche vous aurez un guide gratuit de l’expo ! De quoi gérer vos dernières antisèches avant le repas du soir. Mais en attendant la fin : place aux exposants !

Boris Thiébaut : néo-comics et quotidienneté.

Boris Thiébaut vous propose une passerelle entre intériorité bullaire, matières, temps et vides. En salle, une mise en espace vous plonge dans une scénographie gigantesque des dessins automatiques. Une série nouvelle de l’artiste débutée en 2019 qui coupe tantôt le noir, recouvre tantôt le blanc de plans. Un choix graphique qui cohabite superbement avec la forgerie emblématique du Botanique. Un chantier qui se retrouve sur le papier : trace de pas, saletés, sprays, vents gris et traits, légèreté et blancs délaissés, c’est face à un ensemble de calligraphie contemporaines que B. Thiébaut reconstitue une topologie d’ombres et de poussières, de plans mélangés et d’espaces éthérés issus du résultat de ses recherches. Un petit format noir là, puis un second petit format noir ici, et ainsi de suite, ponctuent ce grand paysage d’impros XXL encadrées d’acier à l’américaine. Des gestes de lâcher prise à l’encre de rature de crobar de vieux comics qui semblent sortis du bureau enfumé d’un vieux rédac.

Oeuvres de Boris Thiébaut © Boris Thiébaut / Instagram

Témoin de son petit trop plein de ville et de press web américaine ; présente dans cette exposition, l’expression d’une mémoire diffuse presque aveugle, séchée et poreuse. Le dessin sur papier, différent de ses habitudes, veut amener une « poésie graphique libre et relative à la langue » pour citer l’artiste, celle-ci hante en grandeur l’espace par un motif monumental répété sur les murs qui accueillent graphite et grands coups de brosse.

Une douceur s’installe toutefois dans la fumée, des petites notes et traits écrits, ces petites reprises de taches et de traces répétitives, personnifiées, qui répondent au paysage quotidien des réminiscences. Le papier y devient un support marqueur de temps dont les sfumatos créé cet Ambiant Draw qu’accompagnera la musique de la Voie chimique des Cavités. Une exposition au charme particulier, à venir observer.

Alexandra Mein, essences des corps

On aurait envie que les serres s’élargissent ! Le travail de présentation des œuvres d’Alexandra, bien qu’un peu ramassé dans l’espace d’exposition, dialogue magnifiquement avec la nature même du lieu et de ses matériaux. Un ensemble de sculptures aux surfaces tantôt polies, tantôt réfléchissantes, tantôt les deux à la fois, des surfaces qui, en dehors de leur propriété même à renvoyer le monde qui les entoure, se créent une place de choix dans la verrière grâce à cette plasticité matérielle.

Un grand nombre d’effets donne chair et naturel aux sculptures même, une proposition variée et biomorphique qui offre une dualité, de ses aspects conceptuels à physiques. Cette dualité de l’homme, sa dualité avec l’autre autant que celle qu’il vit entre le réel et l’imaginaire marqué de l’intérieur au dehors, de l’espace d’ici à l’enfance…

Philosopher’s Stone, de Alexandra Mein, marbre 2019 © Alexandra Mein / Instagram

Tant d’espaces mentaux et concrets sont questionnés dans l‘œuvre d’Alexandra Mein. L’empathie et le grand dilemme de la rencontre du visage, conceptualisé selon Levinas, amorce théoriquement l’essence de cet être humain, de sa relation interhumaine dans les sculptures de Mein. Un voeu très spécifique de l’artiste qui vient effacer l’individualité de ses bustes, sans visages, pour ôter tout subconscient possible. Si Levinas capture l’autre au travers d’un regard, la sculpture d’Alexandra ne doit rien laisser de reconnaissable. Seule l’interprétation du mouvement du corps doit toucher son spectateur d’une manière consciente plus qu’inconsciente.

Son mouvement d’équilibre ou de déséquilibre, sa fragilité, illustré parfois par l’interaction à l’objet au détour d’une chaise. Un mouvement de twist, un amas de deux ou trois corps qui se rencontrent à l’intérieur d’une structure bâtie au hasard du geste de sa créatrice. Le mouvement des corps musclés et de la matière décharnée débouche sur cette magnifique sculpture d’étude en fin de couloir qui deviendra un bronze permanent du jardin pour le mois d’avril-mai. La réflexion des zones polies de cette sculpture sera travaillée afin de refléter le soleil, le bas de l’œuvre sera reflété dans l’eau à l’instar des bassins d’ornements de la serre.

Chalcedony III wall, de Alexandra Mein, 2017 © Alexandra Mein / Instagram

Un travailleur technique du botanique reste en suspens, un instant devant l’installation photographique : « Oui j’aime bien et, c’est étrange, on sent le mélange et le mouvement dans cette photo, ses formes non définies qui se lient à la matière comme un dessin en plusieurs photos. C’est beau, c’est naturel. » Suite à ce nouveau Programme In Situ et la réussite d’Alexandra M. : l’accueil du Bota compte s’instituer d’arts aussi avec Adrien Luca qui achève son expo au bps22 et viendra peindre ses spectres lumineux supprimés d’ici octobre-décembre. De plus en plus d’œuvres permanentes et semi-permanentes feront leur apparition.

Aymeraude de Couëdic en crise du regard

Un panoptique d’hyperréalisme confond public et œuvre dans cette installation du travail d’Aymeraude du Couëdic. Le spectateur y plonge dans un monde de noirs et de blancs entre souvenir agoraphobique et ambiance carcérale. Aymeraude donne une nouvelle dynamique à la foule par des visages singuliers et anonymes d’un extrême réalisme.

Ce palais/labyrinthe de miroirs hybride, offre au spectateur la position centrale de mirador. Vu sans être vu, ce concept initial devient dans son œuvre “voir et être vu” en proposant au spectateur l’emplacement d’un phare artificiel. L’idée d’une fausse sécurité où la question du regard de l’œuvre et de soi entraîne, par ce tourbillon d’inconnus, des sensations paranoïaques. L’éclair du jugement : le regard des autres, un enfer. Composé comme une geôle sans gardien, l’installation d’Aymeraude met en scène une foule qui la surveille et l’emporte! L’artiste y souligne la nausée d’une surveillance constante et grandissante de la population menée par la pression de l’attente sociale.

Paranoptique d’Aymeraude du Couëdic © Aymeraude du Couëdic / Instagram

Le regard devient une forme de délation de ce qui est imparfait : l’humain. Un monde prégnant accepté depuis longtemps déjà. À travers une échelle un peu plus grande que 1:1 se dégage une sensation oppressive autant que le caractère calme et religieux de chaque personne dessinée, à mi-chemin entre le portrait contemporain et l’idole d’antan. Aymeraude cherche à recréer le sentiment d’un regard divin perdu et tente de faire revivre celui d’une appréhension liée à la foi. Transformé par les cultures occidentalisées, le pouvoir du jugement a réussi sa décentralisation d’une morale impériale, impénétrable et dernière vers celle d’un monde ouvert au contrôle de tous et qui vous contrôle : un monde axé sur un artifice global augmenté par les réseau de masse, sur lequel nous nous accordons.

Un regard en vaut-il mille dans cette histoire ? En son sein, nous nous demandons « où cela mène »? Vers où tourne notre humanité et jusqu’à quand ? Une contribution quotidienne à l’image, un rapport à la photographie et aux réseaux sociaux de masse, Aymeraude du Couëdic fascine par sa confrontation classique à une imagerie du data. Un classicisme photographique au regard noir tourné droit sur la caméra qui s’intêresse plus aux rapports humains qu’à une critique même d’un système chiffré.