« Le Chat, légendes, mythes et pouvoirs magiques », par Christian Doumergue
Christian Doumergue nous offre un très bel ouvrage qui explore la face sombre de nos matous adorés. Le côté supposément maléfique de nos merveilleuses boules de poils, a été inventé de toutes pièces dans des périodes anciennes par des hommes probablement malheureux et mal inspirés, qui n’écoutaient pas assez le ronron apaisant des félins. Chat vous dit d’en savoir plus ?
Ce monde merveilleux qui fut le nôtre avant l’âge de raison, qui est celui de la tristesse.
Howard Philllips Lovecraft (1890-1937), Celephaïs (1920)
Christian Doumergue, amoureux des chats, prévient en introduction : « Il peut paraître singulier d’écrire un livre sur ce « côté obscur du chat » lorsqu’on aime les chats. Le sujet de mon ouvrage ne doit pas tromper le lecteur. A travers les mots, les lignes et les pages, ce n’est pas une dénonciation du chat qui se tisse. Mais, au contraire, un voyage à travers sa poésie. Une plongée dans les rêveries obscures, souvent cauchemardesques, que l’animal a inspiré au fil des siècles. La trame de ce livre se veut être un hommage à la poétique nocturne et gothique du chat. Un tableau de sa ténébreuse beauté. »
L’auteur ayant montré patte blanche, on découvre avec stupeur à quel point ce charmant félin, qui fait la joie des réseaux sociaux, a été honni et redouté par nos ancêtres. Ayant en tête un livre court, Christian Doumergue s’est retrouvé face à une multitude de témoignages les plus bizarres sur les peurs engendrés par le chat. Il a donc divisé son travail en deux : une histoire du chat à travers les âges, et une étude sur les superstitions et contes à ne pas dormir la nuit plus spécifiquement français. Et pourtant, le chat n’avait pas à l’origine mauvaise presse.
Bastet et le Grand Matou
Dans le monde antique égyptien il existait une représentation du chat apparue vers 2100 avant JC et qui se nommait le Grand Matou, « miw oa » en ancien égyptien, qui n’est pas sans rappeler le « miaou » de nos petites têtes poilues aux oreilles pointues. C’était une représentation d’essence divine d’un chat fendant le flanc de l’arbre sacré du dieu-soleil à Héliopolis. On ignore encore beaucoup de choses concernant ces anciens cultes, mais on en a déduit que cette gestuelle revêt un caractère magique. L’action se déroule de nuit, et le Grand Matou semble ouvrir l’arbre sacré afin de libérer le soleil qui en est prisonnier.
Le Grand Matou est donc associé au dieu Rê, il est par conséquent un être solaire. C’est exactement l’inverse de la représentation européenne du second millénaire de notre ère, qui en fait un animal lunaire, nocturne et maléfique. Dans l’Égypte ancienne le chat était bénéfique. On le retrouve comme protecteur des tombeaux, représenté tranchant la tête du serpent Apophis, personnification du chaos et des forces du mal.
Ces représentations du chat ont une fonction d’abord magique et religieuse, elles ne sont pas là pour faire joli. Son image repousse le mal. Pyramides, stèles funéraires, papyrus, statuettes protectrices, couteaux magiques, amulettes, bagues, boucles d’oreilles, il est partout. Son culte atteint un degré supérieur avec l’apparition de la déesse Bastet, sous la XXIIe dynastie (945-715 avant JC). Elle est supposée être la fille de Rê, donc du dieu-soleil. Au début représentée avec une tête de lion, elle adoptera très vite, et en toute logique, une tête de chat.
Déesse de la fécondité, des petites filles sont nommées en son honneur. La couleur noire des représentations du chat dans l’ancienne Égypte exprime une idée positive, car les crues du Nil recouvrent les terres agricoles de limon noir, couleur de la vie, de la fécondité et du renouveau. Des chats sacrés sont élevés dans les enceintes des temples consacrés à Bastet, et ils sont momifiés avec tous les honneurs à leur mort. Il existe de nombreuses nécropoles félines, dont celle célèbre de Thèbes appelées « dernière demeure des chats ». On estime que ce sont des millions de chats qui ont été momifiés, vénérés en si grand nombre qu’ils étaient enterrés dans des tombeaux communs.
L’image du chat se dégrade en Europe
La déesse scandinave Freyja, elle aussi déesse de la fécondité et de l’amour, est tirée par un attelage de chats volants. Lorsque le christianisme s’est implanté dans les terres boréales, il a combattu cette déesse superbe et guerrière, et a condamné les chats qui étaient ses attributs. Il faut aussi se souvenir de Thor, le dieu des dieux, qui est confronté à un drôle de défi lancé par le géant Loke d’Utgôrd : soulever son chat. Rien de bien compliqué apparemment, sauf que plus Thor soulève le chat, plus le corps de ce dernier s’allonge, et ses pattes restent ancrées au sol. En fait ce n’est que l’image d’un chat, mais il s’agit du serpent de Midgôrd. Cette histoire nous montre que le chat peut être en réalité une autre créature, un serpent, animal peu sympathique, alors que justement dans l’Égypte antique le chat tuait le serpent. Inversion complète.
Si le chien est fidèle et obéissant, le chat est libre et indépendant. Caractère peu propice à la domination que voulait exercer l’Église sur les esprits en Europe. On pouvait montrer le chien en exemple moral, mais pas le chat. C’est donc naturellement que l’Église a vu dans le chat un ennemi. On disait que si Dieu avait créé le chien pour servir l’Homme, c’est probablement le Diable qui avait créé le chat. Début d’un terrible malentendu qui a duré près de deux mille ans. Les récits mettant en scène des chats sataniques vaincus par des héros chrétiens se multiplient. Des miracles de saints combattant des chats deviennent des histoires édifiantes. Le chat noir se retrouve associé aux sorcières. Il n’est dès lors pas étonnant que des massacres de chats soient perpétrés à travers le continent. La diminution du nombre de félins en Europe aurait-elle eu pour conséquence une propagation plus rapide de la peste, véhiculée par les rats ?
Qui veut brûler son hérétique l’accuse d’adorer les chats
Le chat, animal devenu diabolique aux yeux de l’Église, est supposé régner sur les âmes des hérétiques. Les Cathares sont accusés d’adorer des chats sataniques. A la manœuvre de ces délires se trouve le moine Dominique de Guzman (1170-1221), fondateur de l’ordre des dominicains, et grand inquisiteur devant l’Éternel. Canonisé comme une fusée dès 1234, on cite son « miracle » durant lequel il chassa un chat monstrueux qui apparaissait dans une église au milieu d’un groupe de neuf femmes hérétiques adoratrices du félin.
Les templiers ont aussi eu droit à leur accusations absurdes. Lors des procès qui se multiplient en France après l’arrestation des chevaliers du Temple en 1307, les inquisiteurs les accusent de vénérer un chat affreux, de l’embrasser sur l’anus ou les parties génitales lors de la cérémonie de réception dans l’ordre du Temple, de se livrer à toutes sortes de turpitudes auxquelles chats et femmes sont mêlés. Bien sûr tous les accusés nient fermement. La torture fera « avouer » à certains de ces malheureux tout ce que les inquisiteurs veulent entendre.
Même les Francs-Maçons n’échappent pas à l’accusation de commerce avec le Diable par l’entremise de l’adoration des chats sataniques. Nous sommes alors au XIXe siècle, mais tout le monde n’a pas encore la reçu la Lumière à tous les étages. Voici, pour l’anecdote, la divulgation d’un soi-disant rituel : « Au milieu de la salle où se présentent les aspirants à l’initiation, un chat noir se tient dans un cercueil noir à côté duquel le postulant vient tracer avec son propre sang les termes de son pacte avec le diable ; il se couche ensuite dans le cercueil à côté du chat et on place devant lui plusieurs assiettes contenant des pièces de monnaie ; il doit, les yeux bandés, poser la main sur l’une d’elles. S’il touche l’assiette dans laquelle se trouve une certaine somme en pièces d’or, il trouvera tous les matins sous son oreiller une somme égale envoyée par le diable ; mais s’il touche l’assiette aux pfennings, il sera toujours pauvre. » Les Francs-Maçons auraient-ils inventé l’Euromillion avant l’heure ?
La France des chats mystérieux (et la Belgique aussi)
Christian Doumergue répertorie une longue suite d’histoires, de traditions et de superstitions relatives aux chats, essentiellement en France, pays où ces fantasmes furent très présents, jusqu’à une époque récente, l’après-guerre. On ne sait que choisir. Par exemple ce pauvre Alexis Vincent Charles Berbiguier de Terre-Neuve du Thym dont le cas relève de la psychiatrie, et qui affirme avoir commerce avec des sorcières qui se transforment en chat pour le tourmenter. Il publiera même en 1821 un ouvrage intitulé Les Farfadets, ou tous les démons ne sont pas de l’autre monde, dans lequel il accuse le chats. Il explique avoir combattu un démon (farfadet) transformé en chat blanc qui tombe d’un toit et se tue. Et de conclure sur ce chat criminel : « Quel bonheur : voilà donc un farfadet qui a reçu la juste punition de ses forfaits ! il est mort, l’infâme ! Le portier descendit pour aller chercher le cadavre du chat farfadet ; mais le diable l’avait déjà emporté pour le soustraire à la vengeance des mortels qu’il avait persécutés. »
Rappelons tout de même que longtemps on jeta des chats vivants du haut du beffroi d’Ypres depuis l’édit du comte Baudouin II de Flandres de 962 qui ordonnait de jeter des chats du haut de la tour. C’était la « kermesse des chats », ou « mercredi des chats », avec une connotation religieuse contre le chat diabolique. Cette stupide tradition s’est arrêtée au début du XIXe siècle, en 1817, pour reprendre à partir de 1938, mais heureusement avec des chats en peluche cette fois-ci.
Aujourd’hui la cérémonie n’a lieu qu’une fois tous les trois ans, et attire une grande foule de badauds et de touristes en Belgique. Je me souviens y avoir assisté lorsque j’étais enfant, déjà étonné par la bizarrerie dont les adultes peuvent faire parfois preuve, et ça ne m’a pas plu d’entendre la foule exulter de joie quand on jetait un chat, même en peluche. La prochaine « Parade des Chats », le Kattenstoet, aura lieu les 11 et 12 mai 2024. C’est un défilé bon enfant avec plus de 2000 figurants et des chats géants.
Les vieux chemins perdus
Christian Doumergue nous emmène dans ce bel ouvrage sur la piste merveilleuse des traditions et du folklore des provinces françaises relatifs au chat. Laissons-lui le mot de la fin : «Retrouver les vieux chemins perdus, de ceux qui conduisent au domaine mystérieux… Voilà le salut pour ceux qui sentent encore le souffle de leur âme irriguer leurs veines de chair. Il faut parcourir cette France secrète, mystérieuse, que hantent et émerveillent d’anciennes légendes. Là est la véritable âme de notre terre. La source tantôt solaire, tantôt lunaire, d’ombres et de lumières, qui, durant des siècles, fit deviner à l’homme qu’il existait autre chose que le monde visible. »
Christian Doumergue, Le Chat, légendes, mythes et pouvoirs magiques, Éditions de l’Opportun, 2018, 480 pages de passion féline. Chez votre libraire ou chez les Éditions de l’Opportun.
Le chat est intimement lié à l’au-delà et au mystère. Bien de ceux qui l’ont côtoyé n’ont pas manqué de ressentir cette poésie surnaturelle de l’animal.
Christian Doumergue, Le Chat (2018)
Pour en savoir plus, écoutez l’interview de Christian Doumergue dans la série Arcana les Mystères du Monde, de Ludovic Richer:
Le 17 août c’est la Journée internationale des Chats Noirs. Ce sont les magnifiques yeux d’un chat noir qui illustrent notre article. © GERARD LACZ / REX FEATU/REX/SIPA
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