C’est un des plus grands écrivains anglais contemporains qui vient de nous quitter, Martin Amis, au style sombre et mordant, celui que le New York Times avait sévèrement surnommé le « Maître du Nouveau Désagréable ».

Martin Amis, 1997©Ulf Andersen AFP

Le mieux est que le sujet de votre livre vous choisisse plutôt que vous ne le choisissiez.

Martin Amis

Amis est l’auteur de douze romans dont beaucoup ont été polémiques. Que ce soit un livre sur la Shoah en 2014, La Zone d’Intérêt,  qui reprend l’histoire dans une chronologie inversée : les personnes descendent sur Terre dans un nuage de fumée, puis sortent de la chambre à gaz, montent dans des trains et vont vivre une vie normale. 

Ou un livre sur le 11 Septembre, Le Deuxième Avion, en 2010, pour lequel il est accusé de haine de l’islam. Ou encore deux livres sur Staline dont Koba la Terreur : les vingt millions et le rire en 2002. « Koba » est le surnom de Staline, et dans ce livre Amis dénonce la fascination des intellectuels pour ce criminel contre l’Humanité. Cette critique s’adresse notamment à son père, qui a fait le pèlerinage à Moscou plusieurs fois pour encenser le dictateur et qui faisait partie d’un groupe d’écrivains contestataires appelés « les Jeunes Gens en colère ».

Ce père, Kingsley Amis, écrivain à succès anglais, avec lequel il a entretenu des rapports difficiles, le père refusant de lire la plupart des œuvres du fils. Martin disait à ce propos : « on respecte ses aînés, mais eux sont irrités par leurs descendants. C’est dans l’ordre des choses. »

Martin Amis est donc lui-même fils d’écrivain mais il estime que ce n’est pas héréditaire, écrire c’est répondre à un appel intérieur qui ne peut qu’être personnel. Il a toujours voulu s’exprimer le plus librement possible et de façon authentique, avec une grande maîtrise de la langue anglaise reconnue par la critique. Chez lui ce fut souvent de manière rude, la plume trempée dans l’acide, ce qui ne lui fit pas que des amis. 

Admirateur de Nabokov, Bellow et Joyce, il a accédé à la célébrité avec son roman Money en 1984 dans lequel il critique la société du tout-à-l’argent des années 80 de l’ère thatchérienne ou reaganienne. En français on l’a traduit en Money Money, pour ne pas le confondre avec le best-seller Money de Paul-Loup Sulitzer sorti en 1980, l’écrivain français à succès inventeur du western financier.

De manière iconoclaste, selon son habitude, il dit dans une interview en 2019 sur France Culture: « Le sexe, le rêve et la religion ont un point commun qui est leur manque d’universalité. On est dans l’intime, l’introspection, le personnel. Le roman est un forme d’expression sociale, régie par des règles communes alors que là c’est trop personnel. » Ce qui ne l’empêche pas d’aborder ces sujets, bien sûr.

Martin Amis au Booker Prize,1991,©PA

Un écrivain est apatride, il est citoyen du Monde, citoyen de l’Imaginaire

Martin Amis

Cette idée l’a fait quitter le Royaume-Uni pour Brooklyn, le pays de sa seconde femme l’écrivaine Isabel Fonseca, new-yorkaise de naissance et uruguayenne d’origine, pour commencer une nouvelle vie après l’incendie de leur maison en Angleterre. Le couple a aussi vécu en Uruguay près de Punta del Este, pays où l’écrivain s’est peut-être senti le plus chez lui.

En 2012 il publie Lionel Asbo : State of England, dans lequel il dénonce le côté grotesque et vulgaire de la recherche contemporaine de la célébrité à tout prix, après que son personnage gagne 140 millions de livres à la loterie. Malgré cette critique virulente de la société anglaise Amis explique ne pas attaquer son pays et s’affirme « être fier d’être Anglais ».

« L’ écriture est une question d’énergie. Si dans vos phrases il n’y a plus d’énergie ça ne va plus. Les écrivains doivent savoir s’arrêter à un certain moment. Il est très rare qu’un écrivain soit créatif au-delà de 70 ans. » disait-il sur France Culture. Il a publié son dernier roman à caractère autobiographique, Inside Story, en 2020 à l’âge de 70 ans, puis il est mort à 73 ans ce week-end à Lake Worth Beach près de Palm Beach en Floride.

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