Jusqu’au 30 juin, les fans de musique et de BD peuvent être aimantés à la Maison de L’Image d’Auderghem pour une exposition au concept gagnant.

Des pochettes de très nombreux vinyles, choisis pour les créations graphiques et de BD qui constituent des écrins de choix pour les musiques de tous genres qu’ils abritent et mettent en valeur ! Et pour encore mieux appâter le public, gâté et chouchouté comme coqs en pâte : tout cela est gratuit.

Tout comme le magnifique catalogue reprenant les pochettes exposées…mais dans la limite des exemplaires encore disponibles. Cette exposition est concoctée par quatre commissaires dont le créateur de l’endroit, lui-même graphiste notamment : Michel Michiels. Assisté des artistes suivants : Vincent Baudoux, Johnny Bekaert et Patrick Regout.

Ne pas confondre cet endroit avec un homonyme : la Maison De L’Image de Jette alors que celle qui nous occupe fait partie du remarquable espace de coworking Seed Factory, installé dans d’anciennes écuries à Auderghem !

©Paul De Bruycker

Sur deux étages, de très nombreuses pochettes -je n’ai pu en obtenir le nombre exact mais elles se comptent par centaines -sont exposées.

On ne découvre pas de véritable classement et ce n’est peut-être pas plus mal. Dans la disposition des pochettes présentées, on croise au fond la même fantaisie, la même liberté qui préside à la conception de ces emballages artistiques qui accompagnèrent le très long âge d’or du vinyle. On aurait malgré tout apprécié quelques repères historiques, mais ne boudons pas notre plaisir…

Du Jazz au Rock

Même si avant 1938, quelques rares pochettes illustrées ont existé de façon tout à fait exceptionnelle, le vrai créateur de l’introduction des pochettes de disques illustrées s’appelle Alex Steinweiss. Graphiste -puis photographe -originaire de Brooklyn, il est le directeur artistique du label Columbia Records -la maison-mère américaine – dès 1938.

C’est son idée de donner un packaging attractif et illustré aux disques jusque-là contenus dans de tristes emballages de papier standard. Ce coup de génie donnera le la à l’industrie du disque et servira de trampoline de haute volée à celle-ci.

Jim Flora (1947) – Louis Armstrong’s Hot 5: Volume 2 (Columbia) – Jim Flora (1947) – Kid Ory and his Creole Jazz Band: New-Orleans Jazz (Columbia)

Dès que Columbia lui fait confiance, les ventes de disques enfin dotés de ces présentations artistiques personnalisées explosent. Les plus anciennes pièces visibles à l’expo Music Graphics remontent à l’immédiat après-guerre.

Certaines sont l’œuvre d’un élève doué de Steinweiss : Jim Flora, qui entre à son service en 1942 . On admire ces deux pochettes d’albums de jazz de Jim Flora de 1947.

Armstrong : Louis Armstrong Hot 5, avec l’artiste allongé et suspendu à un fil, ou de Kid Ory and his Creole Jazz Band : New Orleans Jazz

Certains artistes en ces temps reculés restent inconnus…Comme celui qui orne la pochette d’un album de 1954 The Folk Blues of Blind Lemon Jefferson.

Le bluesman aveugle est assis sur une chaise, penché et tenant sa guitare. L’artiste a dessiné en noir l’avant-bras droit et les deux mains du chanteur-guitariste, et surtout sa tête, réduite à une simple esquisse, noire et ronde vue de dessus. Invisibilisée comme le grand artiste aveugle.

Une pochette symbolique infiniment émouvante dans sa simplicité et qui exhale une poésie triste, une âme bien plus forte que moult créations ultérieures beaucoup plus sophistiquées voire parfois…alambiquées ! Mais cela ne correspond qu’à une appréciation personnelle.

L’explosion des Sixties

Les années soixante et suivantes engendrent une explosion créative non seulement musicale mais également graphique. Surtout à partir de la seconde moitié de cette décennie tourbillonnante.

On retrouve bien entendu Revolver des Beatles, œuvre (1966) en noir et blanc du compagnon dès les débuts à Hambourg : Klaus Voormann.

Avec une tendance discrète qui se fait jour : comme de petits pas silencieux, sans fracas idéologiques ni discours tonitruants, vers une certaine fluidité apparente des genres ? On est frappé de voir les traits dessinés assez féminisés de Lennon et surtout de George…

Même si cette excentricité -pour l’époque en tout cas -ne s’est pas confirmée par la suite pour les Beatles, dont la masculinité traditionnelle n’a jamais été remise en cause. Mais il reste cette pochette spéciale et très réussie de Voormann, qui représente, semble-t-il, un premier pas graphique -il n’est question que des pochettes, du visuel -vers l’évolution proche des Beatles.

Et bien entendu la pochette la plus iconique de l’histoire du rock, qui mélange photos et dessins : Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band, quoi d’autre (1967) ? Une réalisation collective aussi ambitieuse que la musique totalement innovante qu’elle recèle…

Due à Jann Haworth et Peter Blake, mais direction Robert Fraser et Michael Cooper…

Dès l’année suivante, Frank Zappa et ses Mothers Of Invention souhaitent orner leur album au titre d’un cynisme souriant We’re Only In It For The Money d’une pochette ouvertement parodique de celle des Beatles. Celle qui -avec l’album lui-même évidemment -marqua au fer rouge l’imaginaire et la sensibilité de toute cette génération !

Mais McCartney ayant prévenu Zappa -qui l’avait contacté à cette fin -qu’une autorisation de parodie dépendrait des avocats, la photo éventuellement litigieuse se trouve d’abord reléguée à l’intérieur de l’album.

La première édition présente donc une autre pochette : une photo du groupe avec Zappa habillé en femme ! Avant que des éditions ultérieures de We’re Only In It For The Money ne respectent enfin le projet initial : la pochette parodique de Sgt Pepper’s. Conçue par Cal Schenkel et Jerry Schatzberg.

Dans un article à paraître prochainement, il sera question d’une tentative française -vous avez bien lu ! – de marcher dans les brisées de Sgt Pepper’s, non musicalement mais graphiquement, donc côté pochette !

Surprise…sauf pour certains d’entre vous qui peut-être se doutent de qui et de quoi il s’agit !

Et puis, le graphisme créatif sans limites peut croître de façon exponentielle grâce à toute la grande mouvance psychédélique inséparable de la grande vague hippie, dans cette seconde moitié des sixties.

Rock progressif et autres

Avec ces quelques éléments décrits plus haut, on aura compris que je ne peux faire qu’effleurer ce si vaste sujet. Vraiment de façon informelle, je mentionnerai la très célèbre pochette d’un album qui se trouve à la base de tout le mouvement de rock progressif : In The Court Of The Crimson King de King Crimson (1969). Ce visage effrayé et effrayant, d’un homme schizoïde, déshumanisé, trouve de nets échos en 2022.

Il peut faire un peu penser à la fameuse œuvre -dont il existe cinq versions ! – de l’artiste pluridisciplinaire norvégien Munch, Le Cri. Même si la pochette de ce 33 tours -expression d’époque ! – présente le visage décomposé de l’homme en gros plan, sans aucun arrière-plan ni paysage, contrairement à Munch. Mais l’inspiration semble provenir des mêmes tréfonds ô combien tourmentés de l’artiste. 

Le créateur de la pochette du disque essentiel de King Crimson, un tout jeune informaticien du nom de Berry Godber, décède peu après d’une crise cardiaque…

1969, année de tous les délires, de tous les changements tourbillonnants. Des libérations réelles et illusoires, de la rage de tout changer, d’aller jusqu’au bout de ses limites voire au-delà. Un album comme celui du Grateful Dead, création de Rick Griffin, illustre bien tout cela : 

Avec son titre en palindrome, Aoxomoxoa ! 

Et le dessin inspiré d’une peinture qui avait servi de poster pour un show du groupe. Avec la tête de mort bien en vue. La créativité la plus débridée, la plus folle, parfois ou souvent sous substances, peut déployer à l’envi ses grandes ailes et s’envoler où elle veut.

L’époque est ouverte, dilatée même. L’exaltation maximale, le ciel est la limite ! Oui mais c’est dans le ciel, trop près du soleil qu’il voulut trop approcher, qu’Icare s’est brûlé les ailes. Tant d’Icares des années soixante -entre autres, bien entendu.

Épilogue ouvert…

On retrouve donc des foules de pochettes qui rappelleront des souvenirs à certains alors que beaucoup de plus jeunes les découvriront avec plaisir. Voire en étant captivés, bluffés…

Cet art de l’illustration est absent du streaming ou du si petit CD, ce boîtier industriel sous plastique et sans âme. Il est pour beaucoup dans le retour en force du vinyle, malgré les prix qui ont une fâcheuse tendance à s’envoler suite à la raréfaction et donc à l’augmentation des prix des matières premières nécessaires à la fabrication des disques vinyle !

En vrac, on retrouve Bowie et le si fameux Diamond Dogs de notre génial compatriote Guy Peelaert…Et bien sûr les Stones, entre autres le mythique Sticky Fingers…mais qui pourtant est une pochette photographiée et non dessinée ! Même si la photo de couverture pourrait très bien avoir été inspirée par…un dessin français des années soixante, mais cela pourra(it) faire l’objet d’un article à part !

Et des groupes plus jeunes comme les Red Hot Chili Peppers ou les Fifty Foot Combo et l’esthétique de ces derniers inspirée de la science-fiction américaine des années cinquante. Des foules de compilations : notamment ces merveilles, les Exotic-o-Rama et Monster-o-Rama. Et des Rock Rally de la décennie 80, d’Ever Meulen. Un compatriote…comme Telex avec notamment le regretté Marc Moulin. Et Lio… 

Guy Peellaert (1974) – David Bowie: Diamond Dogs (RCA)

Et des francophones

Donc des artistes francophones comme la susnommée Lio mais également les Rita Mitsouko, Bashung, Début de Soirée (qui se souvient de cette formation ?) et quelques autres, minoritaires.

Mais il n’y a pas la moindre tentative d’exhaustivité dans cette exposition qui fait l’impasse -bien obligée -sur les très nombreux 45 tours qui furent eux aussi illustrés par ce type de pochettes. 

Soit les simples et les EP’s de quatre titres -les extended-plays comme on disait autrefois ; ce mot étant réservé plutôt au giron des spécialistes passionnés aujourd’hui.

Yves Chaland (1987) – L’Affaire Louis Trio: Chic Planète (Barclay) Hugo Pratt (1988) – Lio: Can Can (Polydor)

Une exposition que vous avez l’occasion de visiter jusqu’au 30 juin.

Accordez-vous donc ce plaisir, que vous l’ayez mérité ou non !

Vous ne le regretterez certes pas.

09:00 > 17:00 du lundi au vendredi

Entrée libre

Fermé les samedis, dimanches et jours fériés

Seed factory (Maison de l’Image)