Des mouvances d’eau, des arabesques végétales, des voix évoluant entre tristes paysages et froid soleil, un opéra qui semble se dérouler uniquement entre chien et loup, c’est le décor dans lequel se décline l’unique opéra achevé de Claude Debussy, Pelléas et Mélisande.

La scène liégeoise accueille un monde sombre dominé par les mouvances de l’eau, les arabesques végétales, où évoluent des personnages tourmentés. L’opéra Pélleas et Mélisande se base sur la pièce du symboliste Maurice Maeterlinck. D’ailleurs, le texte de la pièce est devenu presqu’intégralement le livret.

N. MINASYAN © J-Berger_ORW-Liège

Qui est Claude Debussy ?

Né en 1862, il commence à 9 ans l’apprentissage de la musique. Son père, qui a participé à la Commune de Paris, s’est engagé dans la garde nationale et a été arrêté et emprisonné. Il se lie d’amitié avec un musicien, enfermé comme lui, qui propose de confier le jeune Claude à sa mère, elle-même pianiste. C’est grâce à elle qu’il entrera au conservatoire à l’âge de 10 ans. Il commence sa carrière au service de riches familles, ce qui lui permettra de voyager et de découvrir la musique allemande et russe. Elève dissipé mais talentueux, il obtient le prix de Rome en 1884 avec sa cantate « L’enfant prodigue ». Il compose son premier chef d’œuvre, inspiré par un poème de son ami Mallarmé « Prélude à l’après-midi d’un faune ».

N. MINASYAN – L. LHOTE © J-Berger_ORW-Liège

Son langage musical est tout à fait novateur. En accord avec les mouvements artistiques de son temps, il fonde l’impressionnisme musical. Chaque accord musical devient une touche de couleur se fondant dans un ensemble surprenant, lumineux, évanescent. Dans un premier temps, ses œuvres décontenancent les critiques, mais peu à peu elles finiront par convaincre les auditeurs de son génie.

Claude Debussy mourra en 1918, épuisé par un cancer qui l’aura affaibli pendant 9 ans.

Pelléas et Mélisande

Il s’agit du seul opéra achevé de Claude Debussy, mais aussi l’unique drame lyrique symboliste de l’histoire de la musique. Cette œuvre est atypique car elle repense les relations entre l’orchestre et les voix. Lorsqu’il découvre par hasard le texte de Maeterlinck, il comprend tout de suite qu’il correspond en tout point à sa propre sensibilité. Il mettra néanmoins 12 ans pour l’achever.

N. MINASYAN – J. FA © J-Berger_ORW-Liège

Le texte du poète belge est tout en suggestions, d’action, de sentiments … l’anneau perdu par Mélisande dans la fontaine symbolise son amour perdu, mais pourquoi Pelléas et Mélisande vont-ils le rechercher dans une grotte (?), de qui est l’enfant de Mélisande, quelle est la cause de sa mort ? Et qui est-elle en définitive ?

Si l’on s’est un peu penché sur l’œuvre de Maeterlinck, on la retrouve dans le conte « Ariane et Barbe-Bleue ». L’effroi de Mélisande au début de l’opéra se comprend mieux dès lors.

L’histoire de Pelléas et Mélisande se passe au royaume d’Allemonde, un endroit battu par les vents, au bord de la mer. Le pays est dirigé par le vieux roi Arkel. Alors qu’il se perd lors d’une chasse, Golaud rencontre la belle Mélisande, jeune femme éthérée, mais terrifiée. Bien qu’il ne sache rien d’elle, Golaud l’épouse et annonce la nouvelle dans une lettre qu’il envoie au roi, suppliant qu’on accepte son choix. Il revient auprès de sa famille et présente la jeune femme à sa mère Geneviève et à son demi-frère Pelleas. Celui-ci voudrait se rendre au chevet de son meilleur ami qui se meurt, mais est sommé de rester à Allemonde car son propre père est en train de mourir.

N. MINASYAN – L. LHOTE © J-Berger_ORW-Liège (2)

Entre Pelléas et Mélisande, un lien immédiat s’établit. Un jour, alors que les deux jeunes gens se promène, Pelléas amène la jeune femme à la Fontaine des aveugles . Alors qu’elle joue avec son alliance, la jeune femme perd l’anneau dans l’eau. Au même moment, Golaud fait une lourde chute de cheval. Quand Mélisande revient voir son mari alité, celui-ci se rend compte qu’elle ne porte plus son alliance, Golaud exige qu’elle parte à la recherche de l’anneau, sourd à la détresse de sa jeune épouse qui lui confie être malheureuse au château.  Elle doit partir chercher le bijou, et Golaud l’envoie dans la grotte où elle dit l’avoir perdu, en compagnie de Pelléas.

Golaud se met à épier Pelléas et Melisande, et il surprend ainsi son demi-frère s’enroulant sensuellement dans la chevelure que Mélisande a laissé pendre par la tour où elle se repose. Il recommande d’abord à son demi-frère d’éviter son épouse. Mais la jalousie le ronge, il sent bien qu’il n’a pas avec elle un lien aussi fort que celui qui existe entre les deux jeunes gens. Et il ne tarde pas à menacer Pelléas.

Une nuit, celui-ci demande à Mélisande de le rejoindre car il est bien décidé à fuir Allemonde. C’est à cette occasion qu’ils s’avouent leur amour, et les deux jeunes gens finissent par s’embrasser « comme de petits enfants ». Fou de rage, Golaud tue son demi-frère.

S. KEENLYSIDE – R. JOAKIM – I. JEONG – N. MINASYAN – M. LEBEGUE © J-Berger_ORW-Liège

L’opéra se termine par une scène bouleversante : Mélisande vient de donner naissance à une petite fille, mais s’éteint lentement sous les yeux de son beau-père, le roi Arkel. Golaud, empêtré dans sa jalousie et ses remords tentera jusqu’à la fin de percer la vérité sur les liens profonds qui unissaient les deux jeunes gens. Mais Mélisande se mourra, protégée par la douceur et la protection de son beau-père Arkel.

André Barbe et Renaud Doucet forment le duo qui a pris en charge mise en scène, dramaturgie, décors et costumes. L’ensemble forme sans conteste une remarquable unité, d’une esthétique incontestable. Certains côtés restent néanmoins un peu nébuleux et ne sont pas éclairés par les notes d’intention qui ont été fournies aux spectateurs. Il n’était pas facile d’interpréter le rôle des 6 jeunes femmes omniprésentes tout au long de l’opéra. Le royaume d’Allemonde semble coincé entre ciel, mer et monde sous-terrain, cela représente-t-il l’enfermement mental des personnages qui semblent tous prisonniers tout à la fois de leur passé et de leur destin. Entre lianes et racines, les personnages se débattent entre un monde qui les limite et un univers aquatique qui ne leur offre aucune prise, aucun répit, et les engloutit. Ces incertitudes des spectateurs doivent-elles susciter l’impression que les personnages ne peuvent communiquer ?

S. KEENLYSIDE -N. MINASYAN © J-Berger_ORW-Liège

Le livret de Maeterlinck a quelque peu vieilli, mais l’histoire de ce triangle amoureux reste intemporelle. La musique de Debussy est d’une beauté incroyable. La partition contient toutes les émotions, toutes les expressions des moindres sentiments, la musique est un personnage de plus de la distribution. Les moindres subtilités de l’œuvre ont été merveilleusement rendues par l’orchestre de l’ORW, dirigé par Pierre Demoussaud. Lauréat de la première édition du Concours International de Direction d’Orchestre d’Opéra organisé par l’ORW-Liège et la Fondation Polycarpe, il confirme son grand talent et a su déchiffrer les moindres nuances que le compositeur a exprimé dans son œuvre. Très à l’écoute du maestro, les musiciens ont donné toute l’ampleur de leur talent et de leur expressivité.

Côté voix, un casting sans le moindre faux pas.

L’œuvre de Debussy étant à la limite du récitatif, il fallait des chanteurs à la technique imparable. Pari réussi pour Lionel Lhote, pour qui il s’agissait d’une prise de rôle. Il se révèle un Pelléas étourdissant, perdu par des sentiments qu’il ne comprend pas, qu’il maîtrise encore moins. A l’aise d’un bout à l’autre du spectacle, il a magnifié la représentation d’un timbre profond faisant vibrer de magnifiques graves et, atteignant pourtant de remarquables aigus tout en facilité. Sa présence scénique est impressionnante, même lorsqu’il doit chanter du fond de scène. Son interprétation va de la tendresse étonnée des premiers émois, à la sensualité d’un amour qui fleurit. Son interprétation était à la hauteur de son rôle d’Hamlet où il avait excellé la saison passée.

S. KEENLYSIDE © J-Berger_ORW-Liège

Face à lui, Simon Keenlyside. Le baryton anglais à la parfaite diction française, s’est montré un Golaud violent, tourmenté, extrêmement convaincant. Son chant était extrêmement expressif, sombre, sauf dans la scène où il rencontre Mélissande et où il exprime remarquablement sa douceur, afin d’apprivoiser la jeune femme.

Le rôle d’Arkel était tenu par la basse coréenne Inho Jeong. Bien qu’il ne maîtrise pas du tout la langue française m’a-t-on dit, sa diction était vraiment très bonne. Il a réussi à transmettre beaucoup de compréhension, de douceur, de bonté envers se belle-fille meurtrie. Sa voix à la fois ferme, profonde et vibrante est le reflet même de son personnage.

La présence de Roger Joakim est digne d’éloge également. Son jeu impressionnant l’a fait habiter entièrement la scène, faisant même naître un certain inconfort dans le public, accentuant le côté « incommunicable » de son rôle. Son grave bien maîtrisé laisse un petit goût de « trop peu », son rôle n’étant pas vraiment long.

R. JOAKIM © J-Berger_ORW-Liège

Prise de rôle également pour la soprano Nina Minasyan. Elle a été une Mélisande effrayée, douce, éthérée, pour laquelle on a souffert. Parfaite dans la scène de la chevelure, elle a également été sublime dans ses derniers instants, notamment quand on lui présente sa fille, ou lorsqu’elle décrit le soleil par la fenêtre.

Marion Lebègue a endossé le rôle de Geneviève avec conviction, naviguant entre aigus et notes plus graves avec une parfaite maîtrise, elle a pu transmettre à son interprétation toute l’expressivité qu’elle requérait.

Quant à Judith Fa, elle a été un petit Yniold attendrissant, et malmené. Elle a dû chanter dans des situations pour le moins compliquées, notamment quand elle s’est retrouvée à chanter dos au public et perchée sur une échelle pour le moins secouée. Elle a donné à son personnage toute l’innocence de l’enfance. Une belle performance.

« Pelleas et Mélisande » se joue jusqu’au 23 avril 2024 à l’Opéra Royal de Wallonie.

Pour les réservations pour Pelleas et Melisande c’est ici.


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