Paul Auster, mort d’un Américain francophile
Paul Auster est mort ce 30 avril 2024 d’un cancer des poumons, la France perd un amoureux de la langue française.
Est-ce la tristesse d’avoir perdu en avril 2022, coup sur coup, d’abord sa petite-fille de dix mois, et ensuite son fils ? Le bébé est mort à cause d’une overdose d’héroïne avalée par malheur. Son père, le photographe Daniel Auster, fils de l’écrivain, avait laissé traîner son héroïne et du Fentanyl qu’il utilisait pour lui-même. Il n’a pas supporté cette négligence tragique et s’est suicidé d’une overdose d’héroïne dix jours après la mort de son enfant.
Est-ce l’impossibilité d’exprimer ce deuil immense qui a coupé le souffle de Paul Auster, lui l’écrivain qui savait habituellement exprimer ses émotions avec talent ? Quoi qu’il en soit, Paul Auster a développé l’année suivante, en 2023, un cancer des poumons, et vient de décéder en ce dernier jour d’avril 2024.
Paul Auster (1947-2024) © DR
Né dans une famille juive originaire d’Autriche, il raconte comment, alors qu’il était un enfant passionné de baseball, il s’est un jour retrouvé face à son idole et n’avait pas de stylo en poche pour lui demander un autographe. La star n’en ayant pas non plus sur elle, rien ne s’est passé. Cette frustration d’être passé à côté d’un moment si important dans sa vie d’enfant a fait que Paul Auster a toujours gardé un stylo sur lui. Est-ce pour cette raison qu’il s’est mis à l’écriture ?
Sa carrière littéraire a commencé lentement, difficilement, à tel point qu’il a dû par moment trouver des métiers alimentaires comme travailler pour un groupe pétrolier. Il s’est aussi lancé dans la traduction du français vers l’anglais, traduisant des œuvres de Stéphane Mallarmé, Jean-Paul Sartre, Joseph Joubert ou George Simenon. Car Paul Auster a vécu trois ans à Paris et il y a appris le français. Puis ce furent les années fastes à partir de 1986 lorsqu’il publie des livres comme Moon Palace (1989), ou Leviathan (1992). Il a influencé de nombreux autres auteurs, et même le réalisateur Pedro Almodovar dont le film Dolor y Gloria (2019) avec Antonio Banderas et Penelope Cruz est un hommage à l’œuvre de Paul Auster.
Paul Auster à Paris le 10 juin 2010, pour recevoir la médaille Grand Vermeil des mains de Bertrand Delanoë © Boris Horvat / AFP
Auteur né dans le New-Jersey et mort à New-York, ses livres se déroulent souvent dans cette mégapole. Ses livres traitent beaucoup de la solitude, la recherche de l’identité, le sens de la vie, les coïncidences, les interactions entre les individus et leur milieu, l’absence du père, l’échec, l’imminence du désastre, la vie ascétique. Pas des thèmes très joyeux donc, austères serait-on tentés de dire, mais une place importante laissée à l’introspection. Ses ouvrages ont été traduits dans plus de quarante langues, et Paul Auster voulait les voir traduit aussi en persan, acceptant une rémunération symbolique pour cela.
Se considérant de sensibilité politique d’extrême gauche, Paul Auster disait voter pour les Démocrates par dépit, car il ne croyait pas le vote socialiste comme un vote utile aux États-Unis. Paul Auster était membre de l’organisation PEN America qui défend la liberté d’expression aux États-Unis et dans le monde. Il en fut le vice-président de 2005 à 2007. Il était par ailleurs aussi un poète, un scénariste, réalisateur, linguiste et professeur d’université
La fille de l’écrivain, la chanteuse Sophie Auster, en 2007 © Domaine public
Avec sa seconde femme, la poétesse, romancière et essayiste Siri Hustvedt, il a eu une fille de 36 ans appelée Sophie Auster, qui poursuit une carrière de chanteuse et d’actrice. Les livres de sa femme Siri ont eu eux aussi un grand succès, elle est traduite dans seize langues à travers le monde. Le couple a reçu le Prix Princesse des Asturies en Espagne pour l’ensemble de leur œuvre, Paul en 2006 et Siri en 2019. Par ailleurs, Paul Auster a reçu le Prix Médicis étranger en 1993 pour Leviathan, il a été fait Commandeur des Arts et des Lettres en France, et Docteur honoris causa de l’Université de Liège en 2007.
Son dernier livre, Baumgartner, est sorti l’an dernier chez Actes Sud. En lisant le synopsis de l’éditeur on retrouve les thèmes chers à l’auteur : « Sy Baumgartner, professeur de philosophie à Princeton, veuf solitaire de soixante-dix ans, entame un voyage dans le grand palais de la mémoire. Ses pensées lentement partent à la dérive “vers le passé, le passé distant que l’on distingue à peine, vacillant à l’extrémité la plus lointaine de la mémoire, et par fragments lilliputiens, tout lui revient”.
Se déploient, en spirales de souvenirs et de réminiscences, sa jeunesse à Newark, la vie de son père, révolutionnaire fantôme d’origine polonaise, sa rencontre foudroyante, à vingt et un ans, avec Anna, poétesse en herbe, puis leur amour fou quarante années durant. Jusqu’à sa disparition, qui laisse Sy comme amputé de celle qu’il appelait sa moitié. Se dessine alors une étude sensible, profonde et fouillée sur l’attachement et les méandres du deuil de l’être aimé. Un roman traversé par les forces de l’amour et de la perte, étonnamment lumineux. »
Paul Auster s’exprime sur la mort en 2013 sur France Inter, en FR :