Le parc d’exposition, rue de l’Ecuyer 50, abrite depuis le 15 décembre 2022 une rétrospective d’images photographiques du célèbre photographe Peter Lindbergh (1944-2019). Il s’était lui-même chargé de sélectionner ses œuvres sur la base de différentes décennies afin d’amener le public vers de nouvelles interprétations et associations, un autre cheminement d’histoires tout aussi personnel. Il avait décidé de rendre hommage aux protagonistes de son univers photographique : mannequins, actrices et acteurs même qui, comme ils le faisaient remarquer, avaient contribué au lancement de sa carrière et avaient fait sa renommée pendant quarante ans.  

La génération « Supermodels »

À la fin des années 80, Peter Lindbergh obtient la reconnaissance internationale en lançant une nouvelle génération de mannequins, tout d’abord en les photographiant, à peine maquillées en chemise blanche. Le 1er janvier 1990, cette image fait la couverture de 1er édition Vogue de l’année en Angleterre. La majorité des professionnels considère aujourd’hui qu’elle représente la référence de la « naissance des supermodels ».

La beauté est le courage d’être soi-même. 

Peter Lindbergh

Doté d’une formation initiale en peinture de l’Académie des Beaux-arts de Berlin, il est le premier photographe à inclure des narratifs, imposant sa marque de fabrique et débutant une nouvelle ère de la photographie de mode. Son choix de portraits de femmes s’appuie notamment sur l’époque du cinéma des années 20 ainsi que du tournant industriel de son enfance à Duisbourg, en Rhénanie du Nord de la Westphalie.

Ce qui frappe lorsque le visiteur franchit l’espace Vanderborght réservé au photographe, c’est la proéminence du noir et blanc ainsi que la beauté un rien évanescent qui transparaît des portraits, des séquences presque cinématographiques qui se dégagent de l’ensemble.

© Peter Lindbergh

Tel un papillon, la femme s’envole, virevolte…

Je conserve la même idée, la même vision dans l’absolu. Rien n’a changé. Les gens se métamorphosent, car ils sont toujours différents. Ce que je veux expliquer est que la forme est celle vers laquelle on retourne.

Peter Lindbergh

Bien que ses maîtres demeurent André Kertész, Richard Avedon ou Irving Penn, des influences telles que Dorothea Lange, Henri Cartier Bresson et Gary Winogrand se sont avérées déterminantes dans la carrière de l’artiste, mais son évolution artistique s’est façonnée au fil des années par son approche humaniste et son idéalisation de la femme.      

À la manière de la styliste Gabrielle Chanel qui a libéré les femmes des corsets et autres vêtements qui enserraient et emprisonnaient leurs corps, Peter Lindbergh les a délivrées de cette attitude figée propre à l’idée commerciale de la vente d’un produit de consommation et à travers son objectif convie les femmes à être, à exister par l’intermédiaire du noir et blanc. Il a banni l’utilisation de la couleur qui renvoie les sujets à cette dimension immédiate, commerciale et ils ne semblent plus alors poser comme dans la plupart des photos « de mode ». Loin de refléter un univers statique et uniforme, ses sujets apparaissent dans leur intégralité naturelle sans fard, la chevelure à peine coiffée, avec un esthétisme sans filtre qui s’apparente à une recherche au plus profond de l’âme humaine.

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À l’époque où la technologie s’acharne à tenter de vaincre les rides et expressions profitant de la déferlante hantise de la jeunesse et de la perfection, Lindbergh à la manière d’une brise, balaie de son coup de caméra tous les clichés de notre époque et offre cette alternative de réalisme des émotions où tout un chacun peut se reconnaître.

Des prises d’images grandeur nature, lointaines ou rapprochées trônent sur des immenses pans de mur. À la manière d’un ballet, tout en harmonie dans un décor urbain parfois chaotique, les icônes surgissent affirmant une vérité, une authenticité nue où les expressions des traits du visage deviennent une révélation. Des sphères où se mêlent théâtre et mouvements éthérés presque célestes qui font parfois penser aux pièces chorégraphiques de Pina Bausch dans leurs réalismes poétiques et émotionnelles.

Les photographies de Peter Lindbergh, semblables à un voyage initiatique de l’Art du Beau, invite le promeneur à se projeter irrémédiablement vers la bonté et la tolérance.

Notamment d’après l’actrice, Julianne Moore : « Peter apprécie les personnes dans leur unique beauté. »

D’après l’actrice, Charlotte Rampling : « Lindbergh désire entrer dans la partie vulnérable de chaque être. » Et Kate Winslet dit aussi que : « Il raconte les personnes dans le naturel et la forme simple. »   

Nicole Kidman témoigne : « Il tente de capturer en image ce qu’est l’intuition ce qui fait qu’il sait exactement ce qu’il veut. » Et Penelope Cruz raconte que : « Pour Peter Lindbergh, photographier une femme, c’est photographier la vérité. Dans ses photos, la recherche est de sonder l’âme humaine dans le regard, le corps. »

« Lorsque je me rapproche de la personne, je la dévoile et la caméra disparaît. Il se crée alors un espace particulier. Tu recherches alors un endroit où nous tous, nous nous rencontrons et cet endroit précieux est celui où la personne apparaît et c’est ce que tu portraies. Elle t’offre quelque chose, elle t’offre encore plus de réactions en créant une sorte d’échange. Les personnes sont si complexes, profondes et si distinctes qu’il est impossible de représenter véritablement en une unique photographie comment est la personne. Ce qui disparaît est le moment présent et c’est ce qui réapparaît de nouveau le lendemain. À la même heure, avec le même temps, avec tout pareil, la même personne disparaît pour faire place à une autre et tu racontes quelque chose de complètement différent. » Peter Lindbergh.

L’unique pièce de l’exposition où le protagoniste est en couleur se trouve décuplée en onze portraits. Il s’agit d’un détenu qui attend son tour dans le couloir de la mort et nous ne connaissons ni son nom, ni ce qu’il a fait…Il regarde un miroir pendant 40 minutes et les traits de son visage changent dans les onze miroirs, il n’est jamais le même. L’introspection le fait se modifier et le visiteur est frappé de cette transformation…Peter Lindbergh a désiré explorer d’autres paramètres afin d’élargir son approche à des anonymes qui eux aussi peuvent exprimer des choses même si elles sont non verbales. Ces portraits grands formats sont d’un réalisme effrayant qui déstabilisent et nous confrontent à l’autre que nous ne connaissons pas, qui fait peur, mais qui est bien réel. Nous sommes encerclés et nous ne pourrions pas y réchapper tout comme cet homme en sursis qui ne peut se soustraire à son destin et dont l’existence est suspendue à un fil.  

C’est aussi pour cette raison qu’il est impératif d’aller admirer pour réfléchir cette galerie de photographies jusqu’au 14 mai 2023.

© Profirst_A. de Terwangne

Depuis la fin des années 1970, Peter Lindbergh avait collaboré avec toutes les principales marques et revues de mode, incluant les éditions américaine et italienne de Vogue, Rolling Stone, Vanity Fair, Harper’s Bazaar et W Magazine. Si bien que son œuvre faisait partie des collections en permanence exposées dans de nombreux musés des Beaux-Arts du monde entier tels que Le Musée de la Reine Victoria et du Roi Albert à Londres, du Centre Pompidou ainsi que de l’Institut Giacometti à Paris, Le Musée MoMA PS1 à New-York, du Hamburger Banhof à Berlin, du Musée de l’Art de Bunkamura à Tokyo et du Musée Pushkin de l’Art fin.