Après Au revoir là-haut sacré prix Goncourt en 2013 et adapté au cinéma par Albert Dupontel (un César de la meilleur adaptation décroché au passage), Pierre Lemaitre poursuit sur sa lancée. Suite à ses mémorables romans noirs et policiers, il nous invite désormais à jouir de ses sagas.

L’objet de cet article repose sur le deuxième tome de la tétralogie consacrée aux Trente Glorieuses : Le Silence et la Colère. PIERRE LEMAITRE A TOUT PREVU. Et ce jusqu’’au milieu des années 70. C’est ce qui fait la puissance de cet auteur : il sait où il va. Dessiner la fin du récit, c’est le meilleur moyen pour éviter de se répandre dans les méandres du style, d’une narration non contenue, disait-il lors d’une masterclass sur France Culture. Bref, c’est réussir à raconter une histoire.

La petite histoire dans la grande Histoire

Dans Le Silence et la Colère le lecteur est amené à suivre la trajectoire de la famille Pelletier, héroïne si l’on veut du roman, au début des années 50 avec tout ce que cette époque implique avec notamment l’industrialisation et la production de masse, la montée en puissance des médias, la chasse aux faiseuses d’anges.

La famille Pelletier ? Angèle et Louis, les parents résidant à Beyrouth tandis que leurs enfants Jean, François et Hélène vivent à Paris. Mais c’est sans compter les pièces rapportées autrement dit Geneviève, épouse de Jean, et Dine, fiancée de François.

Jean, surnommé Bouboule, peut être considéré comme le looser de la famille mais pourtant se lance dans ce qui pourrait s’apparenter à la construction de Tati, mais ici appelé Dixie.

François, travaille pour le journal Le Soir  en tant que responsable de la rubrique des faits divers, tandis qu’Hélène, initialement photographe pour le même journal, se voit promue reporter après le succès de son enquête sur l’hygiène des femmes. Un mot au passage sur Hélène et non des moindres : la jeune femme de 23 ans est enceinte et ne veut pas garder l’enfant ; les péripéties seront nombreuses évoquant les multiples difficultés des femmes à avorter.

Pierre Lemaître

Que dire de Geneviève et Dine ? La première prend une place phénoménale dans le roman. Méchante, « salope » (ce n’est pas moi qui le dis mais Pierre Lemaitre lui-même avec un clin d’œil à Hitchcock, « Meilleur est le méchant, meilleur est le film »), on l’imagine obèse. Enceinte et mère d’une petite Colette, elle est l’épouse martyrisant et humiliant un Bouboule tueur en série à ses heures.

Dine quant à elle, cultive le mystère sur ses origines ; sourde, je l’ai devinée fluette dans mon imaginaire. On apprendra qu’elle est alcoolique et kleptomane.

C’est une logique bien huilée d’une famille liée aussi bien par les liens du sang que par les événements qui nous sont donnés à lire et redonne goût à la lecture.

Une logique qui s’inscrit dans la tradition du Roman social, naturaliste, dont Emile Zola a été l’initiateur. Une logique respectueuse du talent de Pierre Lemaitre : le roman d’aventure où les personnages sont vigoureux mais teintés d’ambiguïtés.

Le Paris des années 50, époque du livre. © Portail de la Mode

Promesses littéraires

C’est notamment le couple incongru de Jean et Geneviève qui pourraient occuper la place centrale dans le prochain opus de la saga. Jean est passé entre les mailles du filet de deux meurtres, si ce n’est plus. Geneviève a trompé allègrement son mari pour chacune de ses grossesses. Déjà haute en couleur dans Le Silence et la Colère les traits de son caractère pourraient encore enfler jusqu’à la boursouflure.

Quel avenir pour Dine, kleptomane et alcoolique, dont on apprend qu’elle est enceinte ?

Quel avenir aussi pour le nouveau venu dans la famille Pelletier en la personne de Lambert désormais compagnon d’Hélène ?

Au passage, la disparition d’un des membres de la fratrie Pelletier, Etienne, reste flottante dans Le Silence et la Colère; ce qui donne d’autant plus envie de découvrir le roman précédent à savoir Le grand monde. Une promesse rétroactive ? Oui appelons-là ainsi. 

Pierre Lemaître: Le Silence et la Colère, chez Calmann-Lévy, 592 pages.

Son Prix Goncourt de 2013 adapté au cinéma en 2017