J’aurais aussi bien pu écrire: «cycliste-poète» car le garçon pour le moins original dont je vais vous parler aujourd’hui manie aussi bien les mots que son vélo de course. Je l’ai rencontré cet été Au camion photo, au pied de la dune, sous le soleil landais. Pierre-Nicolas Marquès y présentait son livre Mémoire en roue libre à quelques coups de pédales de Bordeaux, une ville qu’il arpente en clamant sa poésie souvent adressée directement à un passant abordé avec cette phrase devenue sa marque de fabrique: «Je vais te dire un truc qui va te faire du bien.»

« Le voyage c’est aller de soi à soi en passant par les autres »
Proverbe Touareg cité par l’auteur dans Mémoire en roue libre

Et en effet, l’écouter et le lire font du bien car Pierre-Nicolas Marquès n’a pour seule ambition que de rendre ses auditeurs et ses lecteurs heureux. Nous avons entamé une conversation autour de son livre sur la terrasse de ma librairie préférée entre pinède et océan et nous n’avons cessé d’échanger depuis pour mon plus grand plaisir et je l’espère pour le vôtre à la lecture de cet article.

«À La Machine à Lire pour la sortie de mon livre.» © DR

Le cancre

« Il dit non avec la tête, mais il dit oui avec le cœur, il dit oui à ce qu’il aime, il dit non au professeur »
Jacques Prévert

Quand je l’interroge sur ses années d’études, Pierre-Nicolas me répond aussitôt : « Peut mieux faire », c’est ce qui revenait le plus souvent dans les appréciations de ses professeurs. Pierre-Nicolas était un élève gentil que beaucoup appréciaient mais il faisait partie de ces élèves qui ne tiennent pas en place, hyperactif sans doute, « particulier, à l’écart » précise-t-il. Il a d’ailleurs été renvoyé de plusieurs établissements et conclut simplement qu’il n’a pas trouvé sa place à l’école ce qui a longtemps été pour lui une source d’angoisse. Mal orienté parce qu’il « ne cochait pas les bonnes cases », il a préféré suivre un chemin différent emprunté vers l’âge de 17 ans : celui de l’écriture.

Atelier d’écriture avec les BTS Commerce international du lycée Bel Orme à Bordeaux © DR

C’est son premier chagrin d’amour qui l’a poussé à épancher ses états d’âme sur le papier, une lettre par jour destinée à celle qui occupait encore ses pensées mais qu’il conservait, réalisant très vite qu’il écrivait davantage pour le plaisir de l’exercice que pour garder un lien avec la destinataire initiale de ses missives. Et de lettres en aphorismes, de citations en nouvelles, Pierre-Nicolas cheminait doucement mais sûrement vers son premier livre. C’est quand il a été invité dans le dernier lycée qui avait renoncé à lui faire passer le bac que le jeune-homme a mesuré le chemin parcouru et qu’il a pu savourer cette petite revanche sur son passé de « cancre », un mot qu’il assume d’autant plus qu’il est le titre d’un poème de Prévert, poète qu’il aime beaucoup.

Pierre-Nicolas Marquès : « J’ai 18 ans, je fais le prix de Mont de Marsan sous les couleurs du CAB cyclisme » © DR

Pierre-Nicolas se définit désormais comme un auteur-poétiseur, expression qu’il emprunte à une autre source d’inspiration : Oxmo Pucino. Comme le rappeur franco-malien qu’il écoute depuis des années, il se nourrit de poésie et des chansons de Brel ou Aznavour. Son père aussi les écoute et Pierre-Nicolas me dit que c’est lui, figure des hippodromes et de la nuit qui l’a initié à l’écriture, c’est à lui d’ailleurs qu’il a emprunté son pseudonyme sur les réseaux, traduction de leur patronyme : le marquis. Il cite volontiers Sylvain Tesson, Christian Bobin et Jean-Pierre Siméon qu’il lit attentivement et qui me confie-t-il, lui « enseignent une façon d’habiter le monde ». Je ne suis pas étonnée que la classe de BTS dans laquelle il a proposé un atelier ait accueilli avec chaleur cet auteur qui leur prouve que l’on peut sortir des voies toutes tracées pour « franchir des montagnes et aller au bout de ses rêves ».

Le cycliste

« Pédaler libère l’esprit et chaque tour de roue est une échappée vers la liberté »
Pierre-Nicolas Marquès

De nouveau confronté à une rupture douloureuse en passe de le terrasser, Pierre-Nicolas fait au printemps 2021 ce qu’il a toujours fait, comme le confirme sa maman présente dans l’auditoire sur la terrasse de la librairie en opinant du chef: il part. Mais cette fois, il décide de ne pas le faire seul et surtout de le faire pour une cause qui dépasse son chagrin personnel. Il traversera les Pyrénées aux côtés de Jacques D’Arrigo, ancien dirigeant emblématique des Girondins de Bordeaux qui lui propose de participer à un défi qu’il souhaite relever : « rallier Perpignan à Biarritz à vélo en empruntant la route des cols mythiques, afin de lever des fonds pour la Fondation Recherche Alzheimer. » Il ne le sait pas encore mais ce périple lui ouvrira la porte d’une maison d’édition et fera de lui un auteur !

Pierre-Nicolas Marquès avec ses co-équipiers © DR

Pierre-Nicolas est un fou du vélo depuis que sa grand-mère maternelle lui a raconté « le Tour », entendez le Tour de France, il évoque ces moments précieux dans l’un des chapitres de Mémoire en roue libre : « Je me souviens avoir découvert, l’ensemble du peloton depuis la vue de l’hélicoptère, c’était magnifique ! Toutes ces couleurs, on aurait dit un champ de fleurs en mouvements. Le Tour est un monument que j’ai appris à regarder avec mes yeux d’enfant. » Ironie du sort, frappée par la maladie pour laquelle son petit-fils avait entrepris l’épopée pyrénéenne, « Mamou » n’aura pas la fierté de lire ce beau livre tiré du carnet de route de son petit-fils et dans lequel elle apparaît comme une pièce maîtresse de son parcours. Pierre-Nicolas se souvient du jour où il a franchi la porte du CAB (Club Athlétique Béglais) section cyclisme, il avait 14 ans et était bien décidé à devenir un grand champion. Il s’entraîne sérieusement et progresse jusqu’à s’imposer comme « un acteur du peloton ». Il n’est pas devenu coureur professionnel mais il a vécu sur son vélo les plus belles émotions, a appris le dépassement de soi :  « Au CAB j’ai été à la bonne école, la vraie, celle qui établit un lien permanent entre le vélo et la vie. » Une échappée sur les routes où ont souffert et se sont distingués nombre de ses héros s’impose dès lors comme une formidable opportunité pour le jeune-homme blessé.

« Au sommet du Tourmalet pendant ma traversée des Pyrénées à vélo. » © DR

Ainsi une fuite devient un projet à part entière, ce que l’auteur voyait comme une « issue de secours » se métamorphose en un voyage initiatique vers une forme d’accomplissement. L’expérience sera difficile, Pierre-Nicolas n’a plus enfourché son vélo depuis une chute chez les juniors, il retrouve vite les sensations de douleurs et celle de plaisirs aussi. Les kilomètres défilent, les étapes se succèdent avec leur lot de moments d’enthousiasme, de découragement et de rencontres inattendues. Une solidarité se tisse entre les cinq coureurs qui forment ce peloton particulier et Pierre-Nicolas retrouve peu à peu le goût des petits bonheurs :  « Soudain Arnaud s’arrête sans me prévenir, il semble être captivé par le paysage. Je m’arrête à mon tour, cette route est un point d’observation extraordinaire. Le rythme effréné de la vie en zone urbaine nous prive de ces instants. » Pierre-Nicolas est attentif aux paysages, aux fleurs qui poussent le long du chemin, aux animaux qui observent les coureurs en plein effort et se prend à rêver une arrivée victorieuse sous les acclamations du public : « La foule m’acclame, les motos des journalistes me débordent, les flashs des photographes m’éblouissent, je suis sur le point de franchir seul en tête le sommet du Tourmalet. » Pierre-Nicolas vit, rêve et écrit ses moments de gloire, privilège du cycliste-poète et vice et versa.

« Sur les routes d’entraînement de Dorian Foulon dans le pays basque. Il porte le maillot arc en ciel de champion du monde. » © DR

Le poète

« Tire ta peine vers le haut, que ton plaisir atteigne des sommets. »
Oxmo Puccino

Riche d’une expérience humaine incomparable et d’un carnet de route bien rempli, Pierre-Nicolas décide de partager son aventure en rédigeant Mémoire en roue libre, huit étapes soit huit chapitres ponctués de souvenirs  personnels pour mieux comprendre l’auteur et son parcours mais aussi de souvenirs d’amis qui ont croisé sa route. Ainsi, Dorian Foulon, « para-cycliste », double champion olympique lui raconte son combat personnel pour se hisser sur la première place du podium avec un pied bot ; Pierrick Fédrigo, coureur à la retraite ayant remporté plusieurs étapes du Tour de France et un grand nombre de courses prestigieuses qui se souvient de la seizième étape du Tour de France 2010, la plus fantastique à ses yeux. Un livre comme une ode d’espoir pour les malades Alzheimer, « ces riches de souvenirs devenus pauvres » comme l’écrit Olivier de Ladoucette, président-fondateur de la Fondation Recherche Alzheimer dans la préface du livre mais aussi pour tous ceux qui peinent à trouver leur route et sont tentés de prendre la fuite face aux déconvenues de l’existence.

Pierre-Nicolas Marquès:  » Au Boulevard des Potes à Bordeaux pour la sortie de mon livre » © DR

Depuis la sortie de son livre en avril, Pierre- Nicolas grouille de projets, il multiplie les rencontres avec ses lecteurs, alimente régulièrement son compte Instagram : @motsdumarquis de petites vidéos où il filme ses échanges avec les passants à qui il récite ses poèmes en commençant toujours pas sa formule magique : «Je vais te dire un truc qui va te faire du bien.» Cette formule qui pourrait devenir le titre d’un prochain livre, entre essai et recueil de poésies en dit long sur la philosophie de cet artiste qui ne peut laisser indifférent. Curieux et débordant d’énergie, il saisit toutes les occasions de collaborer avec d’autres artistes, Malcolm Conan, artistepeintre ( et caméraman complice de ses pérégrinations poétiques) ou Zontone, étonnant Pooldesigner partageant avec eux cette petite touche inventive et poétique qui donne envie de les suivre.

            Je vous invite donc à suivre ce baladin qui enchantera votre chemin !

Pierre-Nicolas Marquès © DR

Son livre : Mémoire en roue libre, Pierre-Nicolas Marquès, Cairn, 2024

Son compte instagram : Les mots du marquis

Sa petite bibliothèque idéale :

  • Christian Bobin, « Le plâtrier siffleur », Poesis, 2018
  • Gaël Faye, Petit pays, Grasset, 2016
  • Jacques Prévert, Paroles, Gallimard, 1946
  • Jean-Pierre Siméon, Petit éloge de la poésie, Gallimard, 2024
  • Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, Gallimard, 2011

Avec une amie au sommet du col d’Aspin  © DR

Ses adresses bordelaises :

Sa librairie préférée : La Machine à lire, 8 pl. Du Parlement.

Son bar favori : La Comtesse, 25 rue Parlement Saint-Pierre

Son magasin de vélo : Cycles Alpina, 7 Av. G Clémenceau, Talence


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