Vous le savez sûrement, les mois de l’année ont une étymologie, un sens. Ce sens est parfois évident : septembre est le septième mois, octobre le huitième, novembre le neuvième, décembre le dixième. Pour le mois de janvier par contre il faudra aller voir du côté du dieu romain Janus.

Janus, le dieu de la dualité

Janus vous le connaissez peut-être déjà de vue, c’est le dieu à deux visages, chacun regardant dans une direction opposée, on l’appelle Janus Bifrons ou Janus Geminus. Janus est un dieu typiquement romain, c’est le dieu des portes et des passages. La porte étant l’entrée vers un autre lieu, ou vers une autre temporalité, il est donc aussi le dieu de l’aube et des commencements. Commencer se dit en latin initiare, d’où notre mot initiation. Janus est à l’origine de toutes les initiatives, les Romains le considèrent comme étant à la tête de toutes les entreprises humaines.

Janus dans la Galerie de Cameron, Palais Catherine à Tsarskoïé-Sélo © Ivonna Nowicka / Wikimedia Commons

Traditionnellement, les portes des lieux sacrés sont gardés par des guerriers cruels, des chiens féroces ou des animaux mythiques comme des dragons hideux cracheurs de feu. Janus est le dieu des portes et des seuils, il est représenté souvent au-dessus des portes et des arcs de triomphe. C’est le dieu des passages, des transitions. Les Romains comprenaient déjà ce passage comme une possible initiation, il est donc aussi le dieu gardien du temple et du sacré. La porte étant à la fois un lieu de départ et d’arrivée, Janus est le dieu des communications et aussi des ports, on le surnomme parfois Janus Portunus. Il aurait inventé la navigation.

Janus gardien des portes

Son rôle de dieu gardien des portes est symbolisé par la clef et la baguette avec laquelle il écarte les indésirables. Janus donne ou refuse le passage. Il est un dieu guerrier, les portes de son temple sur le Forum à Rome restent ouvertes en temps de guerre, pour indiquer que Janus est parti combattre. Elles sont fermées en temps de paix car Janus est alors dans son temple, à veiller sur la cité. Vous vous en doutez, les portes du temple de Janus restaient hélas presque tout le temps ouvertes. La colline du Janicule à Rome est ainsi nommée en son honneur.

Janus est un des plus anciens dieux des Romains, peut-être le plus ancien car il est à l’origine de toutes choses, il est le créateur du Monde, le père de tous les dieux, surnommé aussi Janus Pater. A ce titre il est plus important que Jupiter lui-même. Il est nommé avant Jupiter, et dans les listes de dieux que l’on prie il apparaît toujours le premier. Le 9 janvier avait lieu dans la Rome Antique le rituel des Agonales durant lequel on sacrifiait un bélier à Janus. De ce fait il est parfois représenté avec des cornes de bélier, parfois avec une couronne de lauriers qui indique la royauté du dieu Janus.

Dieu des commencements

Janus était honoré le premier jour de chaque mois. Comme dieu du commencement, il a donné son nom au mois de Janvier, mois de Janus, qui est le commencement de l’année. Tout comme Mars, le dieu de la guerre, a donné son nom au mois de … Mars. De ce fait il est représenté avec deux visages : un visage vieux, le Passé, qui représente l’année écoulée, et un visage jeune, le Futur, qui est l’année qui débute. Il est la charnière du temps, comme un abrégé synthétique de l’Univers.

L’Arc de Janus Quadriffrons, Rome © Wikimedia Commons

En tant que dieu temporel, il est aussi parfois représenté non pas avec deux, mais avec quatre visages, qui symbolisent les quatre saisons. Certains arcs-de-triomphe romains sont aussi bâtis sur ce modèle du Janus à quatre visages, et ils ont alors quatre portes, surmontées chacune de trois fenêtres qui font douze fenêtres au total, les douze mois de l’année. Le Janus qui est gravé sur ces monuments porte trois cents cailloux dans une main et soixante-cinq dans l’autre, total : trois cents soixante-cinq, comme les jours de l’année.

Janus est également le dieu des collegia fabrorum, c’est-à-dire des corporations de maçons. Les maçons opératifs romains invoquaient particulièrement Janus car il préside aux initiations, et les métiers de la construction transmettaient l’art de la construction au moyen d’une double initiation : technique mais aussi spirituelle, car ils considéraient que la construction relève pour ainsi dire d’un sacerdoce, elle est sacrée. Déjà les Grecs connaissaient les ouvriers dionysiens qui accédaient à la connaissance par une initiation et un apprentissage au moyen de symboles.

Un dieu solaire

Janus est aussi un dieu solaire, certains donnent comme étymologie de son nom les racines Ja et Na, na voulant dire lumineux. Janus au masculin devient aussi Jana au féminin, c’est un dieu qui peut être androgyne et certaines de ses représentations ont le visage d’un homme d’un côté et d’une femme de l’autre. Jana, dite aussi Diana, est la déesse lunaire, pendant féminin de Janus, dieu solaire.

Janus aux portes solsticiales, Robert van Audenaerd, d’après Carlo Maratta, v. 1690 © Wikimedia Commons

Cette dualité se retrouve dans les deux sens par lesquels on peut emprunter une porte. Janus est le maître des deux voies, appelées aussi les Grands Mystères et les Petits Mystères. Les pythagoriciens aussi avaient deux voies, la voie de gauche et celle de droite, symbolisées par un Y. L’école de Pythagore parlait également de coincidencia oppositorum, les opposés s’attirent. Les hindous parlent de la « Voie des Dieux » et de la « Voie des Ancêtres ». Les chrétiens ont deux portes : la « Porte des Élus » et « celle des Damnés ». Ces deux portes sont habituellement représentées à l’entrée des cathédrales et nulle part ailleurs. Toujours les portes, les passages. Ici intervient la symbolique chrétienne des deux Saint Jean : Saint Jean Baptiste et Saint Jean l’Évangéliste, dont je vais vous parler brièvement.

Les deux Saint Jean

Dans la culture populaire on dit souvent en parlant des deux visages de Janus : « Jean qui rit et Jean qui pleure », faisant allusion aux deux Saint Jean chrétiens. C’est une erreur étymologique, le prénom Jean ne vient pas de Janus mais de l’hébreu Yohanan, qui veut dire « Jehovah fait grâce », ou « Jéhovah donne ».  Devenu Johannes en latin, puis Jehan en vieux français, et enfin Jean. Les deux fêtes de Saint Jean correspondent aux deux solstices, elles sont donc opposées dans le calendrier, comme les deux faces de Janus.

Saint Jean Baptiste est fêté le 24 juin au solstice d’été. Cousin de Jésus, il est né six mois avant lui, à l’opposé du calendrier. Leurs mères, Élisabeth et Marie sont cousines et tout les oppose, à nouveau comme les deux faces de Janus : Élisabeth est une femme réputée être trop vieille pour enfanter, Marie est une vierge. Femme vieille, femme jeune. Saint Jean Baptiste est un prophète qui annonçait la venue de Dieu sur Terre. Il est donc annonciateur de la Lumière.

Janus et Bellone. Sculpture de Johann Wilhelm Beyer, 1773–8O, Jardins de Schönbrunn, Vienne © DR

Il ouvre le chemin vers la connaissance du Principe d’où tout provient et où tout revient. « Il faut qu’il croisse et que je diminue» dit Saint Jean Baptiste après avoir accompli sa mission de purification par l’eau dans le Jourdain, puis il va laisser la place à celui qui symbolise le feu. Or c’est justement ce que le fait le soleil au solstice d’été, il atteint son apogée et se met ensuite à décroître. C’est l’Homme Vieux, il représente le temps de l’intelligence. Saint Jean Baptiste annonce l’ouverture des Portes du Ciel. L’islam le reconnaît aussi comme un grand prophète.

Saint Jean l’Évangéliste est dans une dynamique contraire.  C’est l’Homme Jeune, le soleil qui vainc les ténèbres pour remonter vers plus de lumière. C’est l’ascension, la verticalité, l’espoir des jours qui rallongent, c’est le temps spirituel. Cette opposition si complète entre les deux Saint Jean les ramène à l’unité et en fait des quasi-jumeaux, on retrouve dans le christianisme l’image de Janus.

Janus romain © DR

Janus alchimiste

Le dernier aspect que je voudrais aborder est celui de l’Alchimie. Je tenterai une courte approche de la chose, que je suis allé chercher dans « Le Vrai et Vieux Chemin de Nature d’Hermès Trismégiste », un manuscrit allemand d’alchimie traduit en 1782.

L’Alchimie possède aussi un aspect janusien par ce qui est appelé le « Rebis », du latin Res Bina, chose double.

« L’union du mâle et de la femme, le soufre solaire et le mercure lunaire, de ces deux principes nait le troisième, le sel.  Car si le Soleil est le Père de l’Œuvre et la Lune sa Mère, c’est bien le principe d’Unité sous-jacent à ces deux astres qui est éternellement présent et que nous nommons la Lumière des lumières. 

Le Rebis, ou l’Hermaphrodite alchimique, Occulta Philosophia, Azoth, Basile Valentin © Le Miroir Alchimique

Du principe unique androgyne, ce troisième principe incarne les deux éléments originels que sont Sulphur et Mercurius, mot à mot «le soufre et le mercure», au sens figuré «ce qui brûle et ce qui coule».

Le Rebis signifie donc l’union des polarités qui symbolise l’œuvre alchimique et le dépassements des états particuliers de la matière. Toute chose (matière grossière) est double et possède deux polarités.  La fusion alchimique et spirituelle est donc la mort et la renaissance de la matière subtile endormie en chacun d’eux. De là se dégage alors l’essence primordiale. Toute l’aventure humaine n’est donc que la recherche d’une moitié perdue. »


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