« Radio Ballast » de François-Xavier Gbré à la Fondation Cartier-Bresson
François-Xavier Gbré a beau être né à Lille et avoir vécu en France, il s’intéresse depuis toujours à l’Histoire de la terre de ses ancêtres, la Côte d’Ivoire, et tout particulièrement à trois périodes précises : l’époque de la colonisation, l’indépendance et la période contemporaine.
Le fait d’être lauréat en 2024 du programme Latitudes, créé par la Fondation Hermès et la Fondation Cartier-Bresson, lui a permis de réaliser son rêve : un grand périple en Côte d’Ivoire sur les traces du passé.

François-Xavier Gbré à la Fondation Cartier-Bresson © photo Alain Girodet
Au départ, François-Xavier Gbré s’est fixé deux contraintes, celle du temps, une année seulement, et celle de l’espace : il s’agissait de suivre l’ancienne voie ferrée traversant le pays du Nord au Sud, de Ouagadougou au Burkina Faso, jusqu’à Abidjan. Adopter comme fil conducteur le fil des rails, ne pas se détourner de l’inexorable ligne (quasiment) droite qui traverse le pays, aller de façon obstinée de la campagne à la mer, de l’intérieur vers le lointain, du Nord au Sud. Et chemin faisant, se montrer attentif à ce que racontent du pays les voies, les gares, les stations, les accidents de route, l’itinéraire. Écouter la voix des voies ferrées, le discours du train-train, la « radio » du « ballast ».

François-Xavier Gbré à la Fondation Cartier-Bresson © photo Alain Girodet
Ce qui donne une exposition en trois parties : contexte, indices et fresque. Le contexte, ce sont les photos grand format qui disent le paysage, les remarques, les annotations les plus parlantes. Les indices, ce sont, en petit format, un certain nombre de détails révélateurs du cheminement : un nom de gare, une indication (section Molonou, position avancée), une date (1910), une affiche oubliée, un entremêlement métallique légèrement effrayant… Et puis la fresque, un immense collage sur un mur tout entier, dans lequel Gbré récupère les photos d’un certain Louis Normand, Français installé en Côte d’Ivoire à la pleine époque de la colonisation (le miracle ivoirien des années 70), des cartes postales et des images traditionnelles du pays.

François-Xavier Gbré à la Fondation Cartier-Bresson © photo Alain Girodet
La ligne Ouagadougou-Abidjan a été créée par les Français au moment de la colonisation : elle était, pour l’essentiel, destinée à acheminer en direction du port d’Abidjan (lui-même construit par l’occupant) les matières premières, et en particulier le bois, puisque les forêts ivoiriennes ont été décimées en grande partie par la faute des Français.

François-Xavier Gbré à la Fondation Cartier-Bresson © photo Alain Girodet
Les stigmates de la colonisation sont partout présents, mais ils ont été, peu à peu, progressivement, oubliés, délaissés, puis effacés par le retour de la nature. Un paradoxal panneau indicateur signalant la présence d’un train se trouve désormais au beau milieu des herbes folles. Les rails inutilisés s’entassent sur un quai dans un dépôt d’Abidjan, comme autant de longes de fer vouées à la rouille. Un étrange tag « Dieu est amour » orne encore la porte donnant sur un quai vide qui ne verra plus jamais passer de train. Une salle d’attente reste apparemment des plus confortables alors qu’il ne reste rien à attendre. C’est un peu à l’image de cette photo du tout début de l’exposition qui présente les rails, face à nous, plongeant vers l’avant et un lointain perdu dans la brume.

François-Xavier Gbré à la Fondation Cartier-Bresson © photo Alain Girodet
Si bien que le paysage paraît tout à la fois artificiel et naturel, empli d’une verdure luxuriante contredite par les résurgences métalliques de l’occupation humaine, tout à la fois vierge et souillée. Cela donne fréquemment des effets de dégradation post-apocalyptique, ou bien, parfois, des cocasseries (ces rails désormais inutiles, sans traverses ni ballast qui avancent à perte de vue dans le paysage, comme si l’homme Blanc était à moitié déchaussé dans son cheminement).

François-Xavier Gbré à la Fondation Cartier-Bresson © photo Alain Girodet
Toute l’Histoire d’un pays, d’un peuple (presque d’un continent) est dite dans les photos de François-Xavier Gbré : un cliché représente le photographe Louis Normand devant un immense rondin de bois marqué « Est-ce un rêve », c’était l’époque où les Occidentaux venaient saigner le milieu naturel africain pour leur profit. Une autre photo lui répond : celle de François-Xavier Gbré montrant un tronçon de voie ferrée qui avait été déboulonné et poussé en contrebas par le peuple Abbey lors de leur révolte. Sur la photo, on le voit, un arbre a repoussé, pile entre les rails du chemin de fer des Blancs, redonnant vie et orgueil à la nature contre la folie cruelle des hommes. À cette même période un agent colonial français avait été arrêté et exécuté, il s’appelait Rubino. Le village, désormais, porte le nom de Rubino : le temps a fait son office, on peut recommencer à vivre !
« Radio Ballast » de François-Xavier Gbré à la Fondation Cartier-Bresson, jusqu’au 11 janvier 2026
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