La Centrale de Bruxelles a accueilli Els Dietvorst – gagnante du Belgian Art Prize 2021 – et le collectif qu’elle a rassemblé pour l’occasion : le BARRA movement, pour 5 semaines de création. L’exposition issue de cette résidence est un pâle reflet de ce qui a pu se produire pendant ces 5 semaines.

Entre le camp scout et l’asile psychiatrique

Avec Els, le groupe se compose d’une grosse dizaine d’artistes contemporains, il semble même avoir phagocyté quelques employés de la Centrale, et bientôt moi avec.

Vers la fin de la résidence, après une longue série de décisions plus ou moins improvisées – sorte d’illuminations résultant d’un brainstorming hasardeux – le groupe décide de se faire tatouer l’une des phrases du mantra qu’Els a écrit ; « connect to your soul of fire », et j’ai la chance d’être désignée pour réaliser cette drôle d’entreprise. Je débarque donc avec mon petit matériel dans cet espace sombre et silencieux orné de pierres blanches, de branches d’arbres et de déchets divers et variés, avec une dizaine de jeunes en combinaisons jeans qui arpentent le lieu de long en large, sans dire grand-chose, en déplaçant parfois des cailloux. Je commence à tatouer.

Les artistes sont très calmes, malgré l’imminent vernissage, et assez taiseux ; on sent qu’ils sont là depuis longtemps et qu’ils ne sont pas là pour le small talk. J’ai à peine tatoué 2 personnes que tout à coup une fille en salopette débarque devant nous en hurlant à la mort. Elle crie en fait « LUUUUNCH » comme si sa vie en dépendait, c’est l’heure de manger tous ensemble, le repas que leur cuisinière personnelle leur a concocté, comme tous les jours.

C’est quand ils se sont regroupés autour de moi, chacun avec une demande particulière, que j’ai réalisé que le projet serait complexe. Les idées déferlaient dans un anglais parfois approximatif, s’organiser n’était pas au programme, toute procédure paraissait futile, rien ne pouvait être impossible, bref, on allait y passer 3 jours.

Les voies de l’art contemporain sont impénétrables

Tous les matins, le collectif et les pièces rapportées (stagiaires, techniciens, directrice artistique…) prennent part à un rituel bien spécifique (auquel je n’ai pas eu la chance d’assister). Si je comprends bien, la journée est articulée autour de ce rituel et du lunch, avec parfois une activité plus importante, par exemple, parader dans la ville en ligne les uns derrière les autres, silencieusement, une pierre blanche à la main.

Je n’aime pas l’art contemporain, je n’y comprends rien, et j’ai toujours suspecté que c’est parce qu’il n’y a rien à y comprendre. Pourtant, le deuxième jour, je commence à rentrer dans le délire. Certains passent deux fois sous l’aiguille, et petit à petit, ils commencent à s’ouvrir…

Dans cette exposition qui me paraissait assez hasardeuse, tout a en fait une raison d’être. De la brindille à la grande peinture faite de sang, en passant par les vieux mégots de cigarette. Ces pierres répandues dans tout le centre, que je regardais d’un œil suffisant, commencent à me paraître précieuses. Les paroles d’Els et du Barra sont à la fois abstraites, précises et belles.

Je me rends compte que je tatoue au beau milieu d’un énorme poème. Un poème dédié à certains proches d’Els et plus généralement à l’humanité toute entière.

On parle d’amour sans être gnangnan, on construit quelque chose de grand sans être prétentieux, l’organique se mêle parfaitement à l’artificiel, l’esthétique est extrêmement particulière, les fils rouges se multiplient. Comme connectés par une toute nouvelle religion, le camp scout pour aliénés se transforme, à mes yeux, en une espèce de secte idéaliste qui œuvre pour la paix, et dont le culte n’est que bienveillance, union à l’autre et à soi-même.

Le jour du vernissage, je retrouve mes aiguilles plantées parmi les déchets, chaque objet a pris de la valeur, est devenu beau. Ils ont laissé une seconde chance à ce qu’on a décidé d’abandonner en créant une sculpture de fortune. Les installations, peintures et performances ont poussé partout. Je suis surprise par la richesse et la quantité d’œuvres que je vois, puisque quelques jours plus tôt l’espace me paraissait un peu vide. La Centrale était pour moi un campement absurde où gisaient des morceaux de nature ramenés d’Irlande par Els, des crasses trouvées dans la ville. Mais ce soir l’œuvre était née.