C’est grâce à un partenariat avec les Musées Royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles, que le musée archéologique du Malgré-tout peut présenter actuellement une exposition de très grande qualité, « Trésors de Polynésie », regroupant près d’une centaine des plus belles pièces de ses collections venant des îles du Pacifique. C’est une occasion à ne pas manquer d’admirer ces œuvres magnifiques, car les salles bruxelloises doivent subir des travaux de réfection et sont donc fermées au public.

L’exposition est conçue comme une navigation au travers de l’Océan Pacifique. Elle est divisée en 5 sections. Quatre sont dévolues à des zones géographiques, et la dernière présente de magnifiques productions textiles polynésiennes.

Qui sont les Polynésiens ?

L’Océan Pacifique représente un tiers de la surface de la terre, et ses îles, si éloignées les unes des autres furent parmi les derniers espaces à être atteints par l’homme.  L’Océanie proche, se composant de la Nouvelle-Guinée, des îles qui l’entourent, de l’Archipel Bismarck, des îles de l’Amirauté et des îles Salomon a été colonisée il y a environ 50.000 ans (au Pléistocène). Ce sont les ancêtres des Mélanésiens et des Aborigènes d’Australie.  Les faibles distances entre les îles permettaient des voyages à l’aide d’embarcations rudimentaires.  

© Musée du Malgré-tout

L’origine de ces peuples, déterminée par des recherches en archéologie, linguistique, génétique etc. est selon toute vraisemblance l’île de Taiwan. Tous ces peuples qui se sont éparpillés vers l’Océanie lointaine portent le nom de « Lapitas».

Les migrants ne quittèrent l’Asie et la Mélanésie que vers le 1er millénaire avant notre ère. C’est à cette époque que l’île de Madagascar fut atteinte et le domaine le plus oriental de ces migrations, dans lequel on retrouve la Polynésie française ne sera atteint qu’au début de notre ère. Quant aux extrémités du « triangle polynésien » (Hawaii, Rapa-Nui ou l’île de Pâques et Aoteraroa ou Nouvelle-Zélande) elles ne seront peuplées qu’autour de l’an 1000.

Donc, plusieurs millénaires avant les grands voyages européens, les habitants du Pacifique ont investi ce domaine aqueux, où chaque île ne semblait être qu’une étape, un tremplin vers l’île prochaine. Ces incroyables navigateurs ont même atteint l’Amérique du Sud, puisqu’ils ont rapporté en Polynésie la patate douce, même si force est d’admettre qu’on ne connaît pas tous les détails de ces contacts avec l’Amérique précolombienne.

© Musée du Malgré-tout

On ne connait pas avec certitude les raisons qui ont poussés les Polynésiens à s’aventurer ainsi dans le Pacifique. Nécessité de trouver de nouvelles terres d’établissement, à cause de la surpopulation d’une île, rivalités et guerres entre les clans, esprit d’aventure ?

Les navigateurs polynésiens possédaient une maîtrise de la navigation absolument incroyable. Ils avaient également une très vaste connaissance de leurs environnements terrestre et maritime.  Les voyages lointains ont été favorisés par l’utilisation de catamarans, ces embarcations à deux coques identiques qui ont remplacé les embarcations à coque unique, munies d’un balancier parallèle.  Ces pirogues doubles ont permis d’embarquer des femmes, des animaux vivants et des plantes et de naviguer sur de longues distances, permettant de s’établir sur de nouvelles terres. Les savoirs polynésiens traditionnels sont tels qu’ils sont aujourd’hui étudiés par d’éminents scientifiques, qui font tout ce qu’ils peuvent pour les préserver. La navigation traditionnelle et la construction de pirogues des Îles Carolines sont entrées dans la liste du Patrimoine Culturel Immatériel de l’Unesco en 2021, mais c’est au début des années 1970 que le navigateur David Henry Lewis a initié ce début de préservation et a commencé à collecter ces savoirs.

Statuette polynésiennes © Musée du Malgré-tout

Les maîtres navigateurs polynésiens, qui formaient une des castes les plus élevée de la société, étaient formés dès leur plus jeune âge. Ils apprenaient les routes des étoiles, ils les mémorisaient grâce à des récits, mais aussi des boussoles tracées sur le sable. Ils retenaient ces routes tracées par des bâtons, de façon stylisée, un peu à la façon de nos plans de métro. Ils connaissaient les espèces d’oiseaux venant des îles, savaient à quelle distance ils pouvaient s’éloigner de la terre, ils pouvaient s’aider des vents, et des phénomènes de bioluminescence aux abords des îles. Les pilotes de ces embarcations pouvaient même se guider grâce au balancement des vagues. Il est à noter que les premiers voyages se faisaient contre le vent, permettant ainsi aux navigateurs de revenir vers leur point de départ plus rapidement qu’à l’aller, au cas où ils ne trouvaient pas de terre où s’installer.

La Polynésie occidentale

Situées en Polynésie occidentale, les Fidji ont été colonisées d’abord par les Lapitas au premier millénaire avant notre ère, suivis par des Polynésiens et des Mélanésiens issus de très anciennes migrations.

Plusieurs armes magnifiques, caractéristiques de la culture des Fidji, sont présentées au Malgré-tout. Certaines ont nécessité plusieurs années de travail, ce qui augmentait fortement leur mana. Le Mana est une force intrinsèque qui habite chaque être humain, animal, végétal ou même minéral. Cette force, que Nicolas Cauwe (commissaire de l’exposition et grand spécialiste de l’île de Pâques) traduit également par le mot efficacité est un concept prépondérant dans toute la Polynésie.

Les collections polynésiennes © Musée du Malgré-tout

Certains Polynésiens organisaient des expéditions pour échanger des objets sans réelle valeur objective. C’est le travail d’organisation des expéditions, et les longues durées des voyages qui augmentent le mana de l’objet et lui confère une valeur de plus en plus grande, augmentant le prestige de celui qui le possède.

La Polynésie centrale

Trois archipels sont présentés ici : Tonga, Samoa et les îles Cook.  Pour représenter cette partie de la Polynésie, on peut admirer des armes, un plat à kava (alcool local), une pagaie cérémonielle, ainsi qu’une herminette qui a demandé des années de travail. Il faut se rendre compte que ces sculptures très travaillées, l’étaient avec des outils en pierre et nécessitaient une très grande dextérité de la part des artisans, qui mettaient parfois plusieurs années avant de terminer leur œuvre.

Herminette © Musée du Malgré-tout

La Polynésie orientale

Celle-ci comprend de nombreuses îles dont l’essentiel forme aujourd’hui la Polynésie française. C’est de là que sont parties les expéditions qui ont rejoint les extrémités du monde polynésien.

Seuls les archipels de la Société et des Marquises dont représentés à Treignes. Les îles de la Société doivent leur nom à une remarque de James Cook, le navigateur anglais qui décrivit la forte proximité des îles-sous-le-vent comme une « société » au cœur de l’Océan.  Quant aux Marquises, elles doivent leur nom à l’épouse du vice-roi du Pérou, honorée par le navigateur espagnol Alavaro de Mendaña qui découvrit ces îles en 1595. Emblématique dans cette section, un anneau en forme de figurine anthropomorphe (tiki ivi po’o). Celui présenté ici est assorti de cheveux humains, ayant une valeur symbolique très forte qui augmente leur mana.

Herminette © Musée du Malgré-tout

Hawaï et Ile de Pâques

Il s’agit des derniers territoires à avoir été rejoints par les Polynésiens. Ils sont tellement éloignés qu’on se demande si des contacts réguliers étaient maintenus entre eux et les îles d’origine. Hawaii est le seul archipel qui se situe dans l’hémisphère nord. Même s’il est indéniable que ces îles appartiennent au même ensemble culturel que le reste de la Polynésie, les habitants ont développé de fortes originalités.

Tous les objets présentés sont extrêmement beaux, mais il faut porter un regard tout particulier au panneau (poupou) d’une maison communautaire, qui a conservé ses incrustations de nacre, ce qui est assez rare. De même, le Moai kavakava (Figure d’homme aux côtes) est un objet vraiment emblématique de l’île de Pâques. Ces objets dont on voit le squelette sont à ranger dans la catégorie des esprits de l’au-delà, revenants qui pouvaient être autant bénéfiques que maléfiques, étaient donc redoutés. L’arbre utilisé pour faire cette statuette, le toromiro est également marqué par des tabous, ou interdits, autre notion fondamentale polynésienne, qui régit les comportements des Rapanuis.

Tissu polynésien © Musée du Malgré-tout

Dernière section : les tapas ou tissus polynésiens

Faute d’animaux à laine ou à fourrure, ou de fibres végétales propices à cette technique, les Polynésiens ne connaissent pas le tissage. Ils ont donc recours au tapa, c’est-à-dire à un textile obtenu par le battage de la partie interne et tendre de l’écorce, le liber, de certains arbres, comme le mûrier à papier (dont l’étude génétique a aussi permis d’étudier les migrations des Polynésiens), ou l’arbre à pain. Le tapa permet d’obtenir des textiles dont la largeur n’est pas limitée comme nos étoffes, par la largeur d’un métier à tisser. L’usage des tapas était très varié, allant de la fabrication de tapis, à la confection d’ornements de murs, de couverture ou de vêtements. Ils étaient aussi des objets d’échange très appréciés.

En conclusion : une exposition qui vous fera voyager, et qu’il ne faut absolument pas manquer.

Pour en savoir plus : une conférence de Nicolas Cauwe, commissaire de l’exposition:

L’exposition se tiendra au Musée du Malgré-tout à Treignes du 21/04 au 11/11/2024


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