Je l’ai découverte comme beaucoup dans Cuisine et dépendances, c’était il y a plus de trente ans, et je l’ai immédiatement adorée, elle et Jean-Pierre Bacri bien sûr, mais aussi et surtout un style, une écriture et une énergie qui n’ont cessé de m’enchanter depuis. Agnès Jaoui recevra le 23 février un César d’honneur des mains de Djamel Debbouze à l’Olympia et son actualité est des plus chargées.

Focus sur une femme qui n’a jamais caché son besoin d’être aimée et se réjouit de l’avoir tant été et rassurons-la – s’il en est besoin – de l’être encore et pour longtemps.

Actrice ? J’ai voulu l’être pour qu’on me trouve belle et qu’on m’aime évidemment...

Agnès Jaoui

La force du paradoxe

Agnès Jaoui est née le 19 octobre 1964 à Antony dans la région parisienne. Elle est le deuxième enfant qui voit le jour dans cette famille juive séfarade tunisienne. Ses parents, Gyza Jaoui, psychothérapeute et Hubert Jaoui, conseil en marketing, ont quitté Tunis après l’indépendance. Comme beaucoup de membres de leur communauté, ils craignaient que le pays ne soit plus une terre d’accueil pour eux et surtout ils avaient l’occasion de réaliser leur souhait de fonder un kibboutz en Israël. Tous les deux faisaient partie de «la Hashomer Hatzaïr: un mouvement communiste, non marxiste, progressiste et humaniste» comme le définit Agnès Jaoui. Elle raconte comment son père réalise que ce modèle de société ne lui convient finalement pas et décide de s’installer en France, à Antony d’abord, puis à Sarcelles et à Paris. Une grande partie de la famille maternelle reste au kibboutz dont l’artiste garde des souvenirs de vacances teintés de la nostalgie de sa mère.

Avec son grand-père, son père et sa mère © Podcast A Voix Nue, «Agnès Jaoui, une enfant d’immigrés»

Elle est élevée dans une atmosphère cosmopolite, à la maison on parle le français mais aussi l’italien et l’arabe. On respecte les traditions juives au moment des fêtes les plus importantes mais la religion n’est pas essentielle et si Agnès Jaoui exprime aujourd’hui sa tristesse pour les membres de sa famille tués et enlevés le 7 octobre dernier, elle déplore les victimes palestiniennes tuées et blessées depuis. Elle sera moins proche de sa famille lorsqu’elle rencontrera Jean-Pierre Bacri lui-même issu d’une famille juive d’Algérie qui rejette tout communautarisme et refusera la moindre concession à l’expression de ce qu’il considère comme du folklore. Elle suivra une thérapie qui lui permettra de surmonter des abus subis dans sa jeunesse. A la troisième édition des Assises pour l’égalité, la parité et la diversité dans le cinéma et l’audiovisuel en novembre 2020 au Théâtre de la Porte Saint-Martin, elle a livré un discours intime et féministe dans lequel elle a raconté sa propre expérience. Elle a évoqué avec sincérité et émotion les blessures infligées à la petite fille, à la femme et à la professionnelle reconnue qu’elle est devenue, elle-même membre du collectif 50/50 et autorisée aujourd’hui à exprimer sa colère.

Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri © Podcast A Voix Nue, «Agnès Jaoui, une enfant d’immigrés»

Mais Agnès Jaoui n’a pas débuté sur les planches avec son alter-ego ; reprenons son parcours alors qu’elle vit désormais dans le Ve arrondissement, et ce depuis ses sept ans. Elle est élève à l’école de la rue Buffon puis au petit lycée (collège) et au grand lycée Henry IV où elle découvre les codes de la bourgeoisie française au sein de la première promotion de filles dans l’institution parisienne. Tout le paradoxe d’Agnès Jaoui est là : une « famille chantante » mais dans toutes les langues et dans un quartier bourgeois ; un parcours classique, hypokhâgne et chant lyrique au conservatoire mais aussi le Cours Florent, puis le Théâtre des Amandiers et des cours de chant baroque. Elle aime autant le fado, la bossa, la salsa et le flamenco que Schubert et Brahms.

Les «Jacri», l’alchimie

On est des âmes sœurs. C’est comme ça que je vois notre rapport. C’est rarissime dans une vie.

Agnès Jaoui
Jaoui et Bacri, © France TV

Agnès Jaoui rencontre Jean-Pierre Bacri en 1989. Elle rentre de New-York où elle a fait un stage de comédie musicale, elle est encore alors aux Amandiers. Elle est remarquée par Jean-Michel Ribes qui lui propose un rôle dans L’Anniversaire de Pinter, pièce dans laquelle joue aussi Jean-Pierre Bacri. Ils tombent amoureux et s’installent très vite ensemble. Elle ne le quittera plus, ils joueront et écriront à quatre mains les pièces puis les scénarios qui feront leur succès. « Quand j’ai cessé d’attendre passivement que l’on me choisisse j’ai eu l’impression de passer de l’enfance à l’âge adulte véritablement. » Agnès Jaoui parlera de son partenaire comme de son « re-père ». Tous deux s’engageront pour différentes causes dont celle des intermittents du spectacle. Aujourd’hui à la direction de la cinémathèque de Toulouse, la réalisatrice s’inquiète pour la liberté des auteurs, la fréquentation des cinémas et les financements d’œuvres plus intimistes. 

Les « Jacri » © Gaumont

Bacri avait écrit deux pièces avant de rencontrer Jaoui mais c’est leur collaboration, forte de leur complémentarité qui leur permettra d’exceller. Ils partagent les mêmes colères et s’apportent l’un à l’autre ce qui leur manquait pour les exprimer. Quand on interroge l’artiste sur leur mode d’écriture, elle insiste sur l’importance de ce qu’ils voulaient dire, bien définir avant tout le sujet des réflexions qu’ils engageaient : la famille, la notoriété, les mutations de l’existence, la force de l’habitude, l’atavisme.

Les « Jacri » dans Cuisine et Dépendances © Gaumont

Le succès de Cuisine et Dépendances a été un détonateur même si les débuts de la pièce dans le théâtre privé l’ont desservie, boudée par le journalisme branché plutôt à gauche. Agnès Jaoui se souvient avec une certaine ironie du sectarisme en vogue à l’époque. Le couple gagne ses lettres de noblesse en travaillant entre autre avec Alain Resnais qui les baptise «les Jacri» pour toujours. Ils signeront deux scénarios pour le cinéaste : Smoking/No Smoking d’après le dramaturge anglais Alan Ayckbourn, et On connaît la chanson.

Le Goût des autres © Pathé

Agnès Jaoui passe à la réalisation avec Le goût des autres qui remporte un franc succès. C’est un exercice qui l’intéresse depuis l’adaptation de Cuisine et dépendances, elle observe et s’interroge sur les choix des réalisateurs et finit par oser prendre la caméra. Elle dira que Resnais lui a mis le pied à l’étrier en lui confiant la réalisation de la Bande-Annonce de On connaît la musique et que l’exemple de Nicole Garcia dirigeant ses acteurs dans Place Vendôme (dont Bacri) lui a permis de penser que c’était possible. Elle a réalisé cinq films et sept épisodes de la série télévisée En thérapie (2022). Le goût des autres en 2000 remporte quatre Césars en 2001 dont celui du meilleur film ; en 2004, elle présente Comme une image au Festival de Cannes qui obtient le Prix du scénario, elle fait jouer Djamel Debbouze avec Jean-Pierre Bacri dans Parlez-moi de la pluie en 2008 ; suivront Au bout du conte en 2013 et Place publique en 2018. Elle poursuit en parallèle ses carrières d’actrice, de comédienne et – ce qui est moins connu – de chanteuse, avec bonheur.

Agnès Jaoui dans El trio de mis amores © Agnès Jaoui

Une actualité généreuse

Ce n’est pas un hasard si l’actrice est à l’affiche de deux premiers films de jeunes réalisateurs:

 – dans  Le dernier des Juifs, le premier long métrage de Noé Debré sorti le 24 janvier dernier, elle incarne Giselle à qui Bellisha, son fils,  fait croire qu’ils vont déménager car ils sont les derniers juifs de la cité.

«C’est une femme pas méchante. Seule, un peu. Elle fait avec ce qu’elle croit être sa culture, enfin ce qui lui reste d’une culture.»  @societyofficiel pour @pierrelescure

– dans La vie de ma mère de Julien Carpentier qui sortira le 6 mars, elle est aussi une mère qui réapparait dans la vie de son fils après deux années d’absence et bouleverse son quotidien. Un film qui a remporté le Prix du public au dernier festival d’Angoulême et les prix du public et de l’interprétation masculine au festival de Valenciennes.

Elle travaille par ailleurs à la mise en scène d’un opéra du XVIIIe siècle, L’Uomo Femmina de Galuppi Baldassare, elle écrit et chante dans le spectacle musical : « Dans mon salon » avec l’ensemble Canto Allegre programmé dans plusieurs salles en 2024.

Dans mon Salon © Agnès Jaoui

Le 23 février prochain, Agnès Jaoui recevra donc un César d’honneur. Elle ne sera seule sur scène qu’en apparence car son double l’accompagnera forcément dans nos cœurs à toutes et tous pour saluer la carrière de celle dont il disait : « Je ne trouverai jamais de meilleure partenaire : c’est une femme magnifique, intelligente et une très belle personne » (Version Fémina, 2015).

Chère Agnès Jaoui, vos vœux sont exaucés et même plus, vous êtes belle, brillante, généreuse et on vous aime !

Agnès Jaoui s’exprime dans l’émission Le Fauteuil Rose :


Dans l’actualité cinématographique : Priscilla, la vie de la femme d’Elvis Presley.