Il était une fois un mineur… il était une fois cent mineurs… Chacun avait connu son heure de gloire, objet de toutes les attentions d’une brodeuse appliquée, puis exposé sur le mur de la salle à manger entre deux portraits de famille. Le temps a passé, les mines ont fermé, les anciens nous ont quitté et les canevas ont été relégués au fond des armoires ou des greniers. La Cité des Électriciens les exhume de l’oubli.

Mais voilà qu’Olivier Thierry décide de les ressusciter, il fait appel aux dons lors de la journée du patrimoine l’année dernière en vue d’une installation originale. Il s’agissait de réunir cent exemplaires d’un même canevas pour en faire une installation à la mémoire des mineurs. Et le directeur de la Cité des Électriciens a bien fait de compter sur la réactivité et la générosité des habitants du secteur car les cent canevas sont vite réunis et le pari est aujourd’hui réussi!

« Une Joconde ouvrière »

C’est ainsi qu’Olivier Thierry désigne l’homme impassible du canevas. De nombreux exemplaires ont été commercialisés entre 1960 et 1980 sous la marque Royal Paris et nombre d’habitants des régions minières reconnaîtront sans doute son visage familier surmonté de la lampe de mineur, cyclope des profondeurs de leurs terres forées, piquées, havées.

Le canevas du mineur © Frédérique Vanandrewelt

Il existe deux versions de ce canevas avec des tonalités différentes de brun ou de bleu mais le personnage et le décor restent les mêmes : un buste de mineur de profil avec sa veste de travail bleue, un casque blanc et une lampe frontale sans oublier un foulard rouge qui évoque la publicité Jean Mineur mais que je n’ai retrouvé sur aucune photographie d’époque.

Tous ces canevas se ressemblent mais ils sont tous uniques et l’on ne peut s’empêcher de penser quand on les contemple, aux ménagères qui les ont patiemment brodés. L’achat du canevas et des écheveaux de fils représentait sans conteste un effort dans le budget familial pour assurer à la brodeuse de longues heures de délassement après une journée déjà bien remplie. Impossible de rester sans rien faire, les mains occupées par son ouvrage, la ménagère peut s’asseoir aux côtés de son mari et de ses enfants pour planter l’aiguille et enchaîner les demi-points en écoutant le transistor.

La Cité des Électriciens déroule le fil du souvenir

C’est dans le Pavillon Rouge, superbe bâtiment qui doit son nom à sa couverture remarquable de tuiles de céramique vernissées, que nous attendent les canevas, kaléidoscope de visages éclairés ce jour-là par les rayons d’un pâle soleil. Des portraits qui sont autant de figures du passé pour célébrer ceux qui ont fait la richesse du bassin minier. Derrière le mineur anonyme, ce sont des centaines d’individus à qui penseront les visiteurs de la Cité : « C’est une multitude d’histoires et de parcours de vie qui renouent avec le fil de l’histoire afin de révéler le nouveau visage d’un territoire profondément humain.»

Exposition Cent Visages © Frédérique Vanandrewelt

Beaucoup de ces canevas ont été prêtés par des descendants de mineurs qui avaient les larmes aux yeux le jour de l’inauguration de cette exposition participative à laquelle ils avaient bien sûr été conviés. « Un bon moment à vivre et à partager » comme me l’a confié Sabrina Hadid, responsable de la communication de la Cité.  

Un moment à perpétuer et pourquoi pas à immortaliser en donnant vie à l’une de ces brodeuses de talent. On a beaucoup écrit sur la mine et le premier texte qui vient à l’esprit est le célèbre roman d’Émile Zola, Germinal (1885). On pourrait citer Les gueules noires (1907) d’Émile Morel, auteur arrageois tombé dans l’oubli, ou plus récemment Le jour d’avant (2018) de Sorj Chalandon, ou Le ventre des hommes (2021) de Samira El Ayachi.

Exposition Cent Visages © Frédérique Vanandrewelt

À la Cité des Électriciens, on ne manque pas d’idées… Et si un écrivain voulait bien se prêter au jeu de la collection « La vie rêvée des choses » quiréunit des textes mettant en avant un objet symbolique du Nord de la France… Il écrirait un texte autour du canevas du mineur…

Le Canevas sans visage

C’est à Patrick Varetz en résidence à la Cité du 6 février au 3 mars 2023qu’a été confiée la tâche d’écrire un texte pour illustrer et prolonger l’installation de cet automne. Cet écrivain de la région a publié six romans : Jusqu’au bonheur (2010), Bas monde (2012), Petite vie (2015), Sous vide (2017), La Malédiction de Barcelone (2019), Nu-propriétaire (2022) et deux recueils de mille poèmes : Premier Mille (2013), Deuxième Mille (2020) chez POL.

Patrick Varetz © Editions Cours Toujours

Il a également publié Modigliani, une bonté bleue (2016) aux éditions Invenit et Rougeville, promenade élégiaque (2018) à la maison d’édition lilloise La Contre Allée. Il puise dans une enfance difficile les émotions contenues mais d’une sourde violence qui habitent ses récits.

Le canevas sans visage ne fait pas exception à la règle, c’est un texte d’une grande intensité qui met en scène Léona, infirmière retraitée de la compagnie des mines qui brode son canevas et laisse son esprit vagabonder. Elle voit défiler les hommes de sa vie, un mari dont elle était devenue l’infirmière personnelle et qu’elle a vu mourir sans grande tristesse, un amant brutal et indifférent qui l’a délaissée pour des femmes plus jeunes dont il vient parfois lui parler, un fils non désiré dont elle craint les confidences.

Le Canevas sans Visage, de Patrick Varetz © Editions Cours Toujours

Ce sont les traits de ces hommes, symboles de la servitude de toute une vie, qu’elle voit se dessiner sous ses doigts meurtris par l’aiguille ; il lui faut les effacer, les gommer de l’ouvrage pour avancer vers un homme qui l’attend, peut-être ; pour découvrir la femme qu’elle n’a jamais été, sûrement.

L’actualité de La Cité des Électriciens

La Cité des Électriciens est un lieu où il fait décidément bon flâner, découvrir, apprendre et lire… Les expositions temporaires dont je vous ai déjà parlé dans un article précédent sont encore visibles jusqu’au 3 décembre ainsi que « Jouer avec le feu », le travail d’Édouard Pignon, fils de mineur de fond et ami intime de Pablo Picasso pendant près de trente ans qui expose dans ses œuvres des thèmes propres au monde de la mine.

Exposition Cent Visages © Frédérique Vanandrewelt

Autre travail à découvrir :  celui du designer Valentin Devos qui a mené l’enquête sur les terrils du Pays à Part à Haillicourt pour réinventer le patrimoine paysager sous une forme contemporaine dans « Le Peuple de la Nuit ».

L’équipe du Coron Alternatif vous réserve enfin une programmation surprise les samedi 2 et dimanche 3 décembre pour célébrer la Sainte-Barbe, patronne des mineurs.

La Sainte Barbe, patronne des mineurs © DR

C’est par le martyre de Barbara et la mort de son père, foudroyé par le châtiment céleste pour avoir décapité sa propre fille, qu’elle devient patronne « de tout ce qui tonne et détonne » : pompiers, artilleurs et mineurs se placent sous sa protection. Le châtiment infligé au père de la sainte la fait considérer comme toute-puissante contre le feu du ciel et contre le feu lui-même, qu’il s’agisse de l’allumer ou de l’éteindre.

Le jour de Sainte-Barbe, chômé et payé dès 1946, est une véritable institution dans le monde de la mine et tous la fêtent sans distinction de confession.

Pour plus d’informations concernant l’exposition, visitez le site de La Cité des Électriciens.