Si vous passez dans la région de Venise, ne manquez pas l’exposition dédiée à Giorgio de Chirico qui a lieu dans le splendide Palais Sarcinelli de Conegliano situé près de Trévise.

L’événement phare de la région, orchestré de main de maître par la curatrice Victoria Noel-Johnson en collaboration avec Artika, la Fondation Giorgio, Isa de Chirico et la ville même, nous dévoile, une fois de plus, le génie absolu de ce peintre pétri par sa terre natale.

A l’aube du centenaire du Surréalisme (1924-2024)

L’exposition anticipe les festivités qui auront lieu dans quelques mois pour célébrer le centenaire de ce mouvement apparu comme tel en 1924. Au fil des merveilleuses salles Renaissance du Palais Sarcinelli, le visiteur peut admirer 71 chefs d’œuvre de l’artiste qui fût précurseur du Surréalisme aux côtés d’André Breton le fondateur. Pour ce dernier et pour d’autres maîtres de la peinture surréaliste dont Max Ernst, René Magritte, Yves Tanguy et Salvador Dali, les prémices de la peinture métaphysique de Giorgio de Chirico ont joué un rôle de premier plan dans le développement de ce courant à partir des années vingt. 

Et si le Palais Sarcinelli a été choisi comme un écrin d’exception, c’est grâce à ses prestigieuses salles de style Renaissance qui subliment chacune de ses œuvres de manière totalement unique. Œuvres présentées pour la toute première fois dans cette jolie ville de Vénétie.

Le Muse inquitetanti, début des années 1960 ©Wannenes

Parmi les remarquables peintures exposées figure une belle sélection de toiles aux principales thématiques chères à de Chirico dont : i Manichini senza volto e i Trovatori, le Piazze d’Italia e le Torri, gli « Interni ferraresi », i Trofei, I Gladiatori, gli Archeologi, i Soli accesi e spenti e i Bagnanti misteriosi appartenant à une série mythologique datant de 1934.

L’exposition porte un regard particulier et inédit sur les années de création  « néométaphysique » de Giorgio de Chirico (1965-1976) années durant lesquelles il médite, travaille et réinterprète les sujets abordés dans sa première période de création métaphysique (1910-1918). Des peintures dont La Fondation de Chirico possède la collection la plus complète et importante au monde.

Deux mannequins en buste © gazette-drouot.com

Au fil de cette exposition, on peut redécouvrir et admirer les différentes techniques utilisées par l’artiste cosmopolite dont la peinture, le dessin, l’aquarelle, la sculpture, et la lithographie. On peut aussi méditer sur l’influence considérable de de Chirico non seulement sur le surréalisme mais aussi sur la Neue Sachlichkeit (nouvelle objectivité), le pop art, la Transavanguardia (renouveau de la peinture en rupture à l’austérité du moderniste, de l’art conceptuel et de l’art minimaliste.

Ce mouvement a privilégié l’émotion contre l’art de la raison qui caractérise le mouvement conceptuel), et certains aspects de ce qu’on appelle le postmodernisme. Durant ses soixante années de carrière (1908-1978), Giorgio de Chirico n’a cessé d’expérimenter styles, techniques et univers étonnants se délectant d’inattendus paradoxes et fascinants. Citons, par exemple, sa manière illogique-mais de précision mathématique-de mettre en scène la perspective ou d’utiliser la lumière déformant certaines réalités pour en créer créant de nouvelles.  

Depuis plus d’un siècle, Giorgio de Chirico fascine. Cette splendide exposition est une occasion de plus plonger dans son univers. 

Un Italien né à Volos, en Grèce

Giorgio de Chirico, on l’oublie trop souvent, est né en Thessalie et plus précisément à Volos le 10 juillet 1888. Issu de parents italiens, c’est donc en Grèce qu’il pose ses premiers pas et ses innocents regards d’enfant sur le monde. Cette même Grèce dont on retrouvera plus tard l’influence déterminante présente en filigranes dans toute son œuvre. Dès ses plus jeunes années, de Chirico fréquente les écoles athéniennes. Il en sort totalement fasciné par les ruines présentes un peu partout dans la ville et la culture de la Grèce antique.

En 1906, il quitte l’orient grec pour s’établir avec sa mère et son frère, à Munich, où il suit, avec passion, l’Académie des Beaux-Arts. Et c’est toujours en compagnie de sa mère et de son frère Andrea (le célèbre Alberto Savinio) qu’on le retrouve, à Florence, dès 1910. Subjugué par les splendeurs de la ville toscane, il est  transcendé par une première inspiration métaphysique Piazza Santa Croce. Cette transcendance donnera vie à une série de créations dans ce style bien particulier dont L’énigme de l’oracle, l’énigme d’un après-midi d’automne et l’énigme de l’heure. Un an plus tard, il reprend la route, vers Paris, cette fois, pour y retrouver sa famille, essentielle pour lui.

Giorgio de Chirico © photo Melusine

La capitale parisienne inspire Giorgio de Chirico à étudier les places italiennes et les influences de  l’architecture turinoise sur celles-ci ainsi que les fondements de la philosophie nietzschéenne. 1913 marque un tournant décisif dans son parcours :  Picasso et Apollinaire sont profondément séduits par trois de ses toiles exposées au Salon des Indépendants. Très vite, Apollinaire devient un ami proche avec lequel il passera des jours et des nuits à parler, à échanger et à refaire le monde. La série des  « manichini » voit le jour. Il réalise également durant cette période ses peintures les plus célèbres dont : Il grande metafisico, Ettore e Andromaca, Il Trovatore e Le muse inquietanti.

Une première exposition à Rome en 1919

Installé à Rome dès janvier 1919, la Casa d’Arte Bragaglia lui organise une première exposition personnelle d’envergure. De Chirico redécouvre dans la ville éternelle, chère à son cœur et à son âme, les grands maîtres de la peinture issus de la Renaissance : Rafael et Michel-Ange. Il y rencontre aussi sa première femme Raissa Gourevitch Krol. Il s’envole ensuite à Paris (1925) où il peint ses tableaux d’inspiration archéologique : chevaux face à la mer, trophées, paysages d’intérieur, gladiateurs…

Une vue de la Maison Musée Giorgio de Chirico à Rome © photo Melusine

La fracture avec le surréalisme

Ces toiles sont fortement critiquées par le mouvement surréaliste dont il se détache progressivement totalement. Son premier mariage prend fin mais un nouveau  grand amour est né : celui porté à Isabella Pakszwer Far qui deviendra sa deuxième femme, à ses côtés, jusqu’à sa mort. Après un passage de deux ans à New York, de Chirico pose ses valises dans son Italie bien aimée (1940). A l’occasion de la Biennale de Venise de 1948 , il expose « une formidable copie » dans un espace où Giorgio Morandi reçoit le prix de la peinture métaphysique. Cette expérience lui inspire un sentiment de vive polémique qui le pousse à mettre sur pied une « Anti-biennale » vers 1950.

La naissance du courant Néométaphysique : un univers joyeux et coloré

Fin des années 1960, Giorgio de Chirico reprend ses peintures métaphysiques pour les mettre en scène dans un environnement différent,  joyeux et baigné de couleurs.  Le courant Néométaphysique est né ! L’artiste grandiose s’éteint à Rome, en 1978, laissant derrière lui une œuvre magistrale.

Informations pratiques :

Exposition du 11 Octobre au 25 Février 2024

Palazzo Sarcinelli -Conegliano – Via XX Settembre 132 à 31015 Conegliano Italie

www.artika.it / Tel : 0039.351.809.97.06

Á visiter sur rendez-vous : la Maison Musée de Giorgio de Chirico à Rome. Piazza di Spagna,31. Tel : 0039.06.679.6546.

Á lire :

Les mémoires de Giorgio de Chirico ou la fin d’une nation : réflexions, livres et familles d’un passé ottoman. Livio Missir di Lusignano (1984).

Giorgio de Chirico et la peinture métaphysique, Paolo Baldacci, Ed. Hazan 2020.

Une envie d’Italie ? Découvrez Tabiano et sa région !

Une vidéo de 166 tableaux de Giorgio de Chirico :