La belle histoire d’Arcabas en Chartreuse
Il était une fois une petite église néo-romane qui avait vu le jour en 1860 à Saint-Pierre de Chartreuse et fut baptisée Saint-Hugues ; il était une fois un jeune Lorrain, Jean-Marie Pirot, qui avait été nommé professeur à l’École des Arts décoratifs de Grenoble et se fit connaitre sous le nom d’Arcabas. Au début des années 1950, la petite église se refait une beauté quand le professeur la visite et décide d’en faire la décoration. L’aventure durera presque quarante années de 1952 à 1991. C’est l’histoire de ce professeur devenu un grand peintre, et de cette petite église devenue un grand musée d’art sacré, que je vais vous conter.
Un peintre
A mes risques et périls, je me suis déclaré peintre.
Arcabas
Né en 1926 en Moselle, Jean-Marie Pirot, dit Arcabas, apprend la calligraphie avec son père instituteur avant de prendre des cours de dessin. Il est enrôlé de force dans la Wehrmacht en 1943 et s’évade un an plus tard. Il s’installe à Paris à la Libération pour suivre ses études de peinture à l’école des Beaux-Arts où il s’initie aussi au travail sur bois, à la sculpture, à la gravure et à la forge. Il rencontre Georges Desvallières et se passionne pour son travail de décoration de la chapelle de Saint-Privat qui lui inspirera son entreprise à venir. Éclairé par la lecture de deux philosophes chrétiens : Jacques Maritain et Emmanuel Mounier, il se plonge dans la Bible et il dira plus tard que «la foi lui est tombée dessus comme un seau d’eau ».
Il se marie avec Jacqueline avec qui il aura deux enfants : Étienne qui deviendra sculpteur et Isabelle, comédienne et auteure qui présidera l’association chargée de faire connaître son œuvre. En 1950 il devient professeur à l’École des Arts décoratifs de Grenoble et se met à prospecter pour trouver la petite église de ses rêves. Il découvrira son joyau en faisant la connaissance de Raymond Truffot, le curé de Saint-Hugues-de-Chartreuse qui deviendra son ami. Proche du groupe Esprit et de son directeur, Jean-Marie Domenach, il réalise en 1962 le décor d’Un curé de campagne de Georges Bernanos pour la Comédie des Alpes sous la forme d’un polyptyque monumental : «Hommage à Bernanos», installé dans la nef de l’église des Jacobins à Toulouse depuis 2019. En désaccord avec sa direction qui le juge trop novateur, il part enseigner plusieurs années à l’Université d’Ottawa, invité par le Conseil national des arts du Canada de 1969 à 1972.
C’est à son retour qu’il s’oriente vers l’art abstrait sous le nom d’artiste inspiré par des inscriptions d’étudiants sur un mur de protestations en 1968. Il enseigne à l’Université des sciences sociales de Grenoble où il crée un atelier d’arts plastiques, «Éloge de la main», qu’il animera jusqu’en 1992. Installé à Saint-Pierre-de-Chartreuse dans une grange qu’il a restaurée à partir de 1960, il consacrera une grande partie de sa vie au chantier de Saint-Hugues. Son œuvre complète s’étale sur plus de 70 ans, il a répondu à de nombreuses commandes de l’Église, de l’État et des collectivités. Outre l’hommage à Bernanos évoqué plus haut, on pourrait citer différents vitraux, des mosaïques, des sculptures et autres peintures essentiellement en Isère mais aussi en Belgique, en Italie ou en Principauté de Monaco. Il meurt le 23 août 2018 dans sa maison, quelques mois après Jacqueline avec qui il a partagé sa vie et qui aura été sa muse pendant près de 70 ans. Ses obsèques ont eu lieu dans son église et il repose aux côtés de sa chère épouse à Saint-Hugues-de-Chartreuse.
Une église
Quand on fait des tableaux pour qu’ils soient beaux, en somme, ils sont déjà sur le chemin du sacré.
Arcabas, 2018
Au cœur du Parc naturel régional de Chartreuse, à 900 mètres d’altitude et cernée par les forêts, se dresse une petite église de pierre bâtie à la fin du XIXe siècle dans un style qui s’inspire de l’époque romane. Bâtie sur les lieux d’une chapelle édifiée par la famille de Saint-Hugues-de-Chartreuse en 1834 et détruite quarante ans plus tard, elle a fière allure avec ses voûtes en berceaux et ses fenêtres en arcs semi-circulaires. Les travaux furent en partie financés par les Chartreux et la nouvelle église fut dédiée à Hugues de Grenoble, évêque à l’origine de la fondation de l’Ordre des Chartreux. Arcabas, qui ne porte pas encore son pseudonyme, commence le chantier en juin 1952.
Ne pouvant utiliser les murs trop poreux comme supports, ses premières peintures seront réalisées sur des panneaux de jute qu’il enduira d’un mélange de sucre, miel, œufs et pigments à dominante rouge. Il réalise également les portes en chêne cloutées, les vitraux en plaquettes soufflées, les incrustations de laiton dans le sol, la statue de Moïse en pierre de Villette et les candélabres en fer forgé. Cette première vague de réalisations est inaugurée le 28 juin 1953.
Il complètera ces premiers travaux par la réalisation du tabernacle en bronze, du crâne d’Adam en tilleul sculpté et doré à l’or fin et de l’autel en marbre de Russie, avant de partir pour le Canada. À son retour, il décidera d’égayer l’ensemble en lui ajoutant de nouvelles peintures sur le thème du psaume 150 : 27 toiles réparties dans le chœur et la nef sous le titre «Le Couronnement». Il réalise alors la donation de la totalité de ses créations dans l’église au département de l’Isère tout en conservant la main mise sur l’œuvre exposée.
La dernière vague de production débutera en 1985 avec «La Prédelle», ceinture basse et flamboyante,un ensemble de 53 tableaux suivi deux ans plus tard par Le Magnificat, par plusieurs pièces de mobilier liturgique et par le baptistère. Cette dernière vague se terminera avec la sculpture du «Christ mort» dédiée au Père Raymond Truffot. Enrichie d’une centaine d’œuvres d’art en quarante ans, la petite chapelle devenue église s’est métamorphosée en 1984 en un musée qui ne cesse de surprendre et d’enchanter ses visiteurs.
Arcabas poursuit la tradition de l’art sacré avec une spontanéité et une forme de naïveté que François Boespflug, historien de l’art, qualifie de «fraîcheur et de candeur heureuse». Il a d’abord été un peintre essentiellement figuratifavant de se tourner vers les formes abstraites pendant ses années canadiennes. Des éléments et des figures du quotidien voisinent les sujets religieux pour dépasser le cadre du sacré même si la multiplication des symboles et l’utilisation de la feuille d’or en perpétuent la tradition. Il rejoint des artistes comme Matisse, Chagall, Léger, Braque ou Bonnard qui ont marqué de leur empreinte la Chapelle du Rosaire à Vence pour le premier et l’église Notre-Dame-de-toute-Grâce du plateau d’Assy pour les autres.
L’église-musée Arcabas en Chartreuse est une étape incontournable pour les randonneurs et les touristes qui sillonnent le massif, elle est restée un lieu de culte, ce qui est un cas unique en France. Ses visiteurs ne manqueront pas de se rendre à la basilique du Sacré-Cœur de Grenoble pour y admirer les 24 vitraux sur lesquels Arcabas travaillait quand il a quitté ce monde en laissant son collaborateur et ami, le maître verrier Christophe Berthier, terminer le chantier.
Pour aller plus loin avec Arcabas
Et si vous n’avez pas l’occasion de vous rendre prochainement dans le Dauphiné, il vous reste la possibilité de visiter son site : Le Musée Arcabas en Chartreuse.
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