Si quelqu’un serait bien ravi de voir ce menhir, c’est Obélix ! Mais il ne lui suffira pas d’être tombé dans la potion magique quand il était petit pour le porter, car le menhir du Champ Dolent pèse 120 tonnes d’Histoire et d’histoires !

Du moins c’est un poids estimé, car personne ne l’a déboulonné pour le mettre sur une balance. C’est un mégalithe très impressionnant de 9,3 mètres de haut et 7 mètres de tour, un des plus grands menhir dressés de Bretagne. Il aurait été taillé et amené d’une carrière située à 4 kilomètres de distance, de la belle ouvrage ! Le nom de Champ Dolent pourrait faire allusion à la ville de Dol de Bretagne toute proche, ou alors à une ancienne bataille qui aurait eu lieu à cet endroit, d’où l’adjectif dolent, c’est-à-dire le champ de douleurs. En roulant dans la campagne aux portes de la ville de Dol-de-Bretagne, vous trouverez au milieu d’un champ cet incroyable témoignage des temps anciens. C’est-à-dire du néolithique.

Le menhir par beau temps © Radek Vinkler 2007

Les visiteurs arrivent en voiture de tous les pays. Ils arrêtent leur voiture le temps d’une photo, certains touchent l’immense objet lithique avec curiosité, voire avec vénération pour les plus sensibles à l’idée de forces ou d’énergies qui passeraient par là. Le menhir ne laisse personne indifférent. Le jour où je suis venu le voir il pleuvait, et si un couple s’est contenté de le photographier depuis leur voiture, la plupart descendaient bravement sous les intempéries pour l’admirer de plus près.

Un menhir beaucoup plus ancien que ce que l’on s’imagine

Yannick Lecerf a écrit une présentation savante de ce monument : «Maintenue par un calage de pierres aménagé dans une fosse dont la profondeur est sensiblement de 10 % de la hauteur hors sol du bloc, la pierre du Champ Dolent révèle une parfaite maîtrise des groupes constructeurs. Écartés de toutes les relations avec le funéraire, les menhirs marquent des événements significatifs pour ces communautés de tradition orale.

Jeune fille et son cheval sur le sentier © Ministère de la Culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie, diffusion RMN-GP

Suite à un probable mouvement de rejet d’une certaine vénération de ces géants de pierre, ceux-ci sont délibérément abattus (vers 4000 ans avant JC) pour être remplacés par la pratique des champs d menhirs dont l’aménagement s’est étalé sur une longue période comprise entre 4000 et 2200 ans avant notre ère. Du Moyen-Âge au XXe siècle, certains monolithes ont connu une christianisation allant de l’adjonction de croix à des sculptures dans la masse ou encore à des scènes peintes. » En effet, le menhir de Champ Dolent a été surmonté d’un Christ en croix au XIXe siècle, cette croix n’existe plus de nos jours.

On relie généralement les menhirs à la civilisation celtique, Panoramix et ses amis, dans toute la Bretagne. Mais celle-ci date au plus loin de 1200 avant JC, avec la civilisation celtique de Hallstatt. Les menhirs eux sont bien plus anciens, de cette civilisation du néolithique dont on ne connaît que bien peu de choses. Cette idée préconçue qui consiste à croire que ce sont « nos ancêtres les Gaulois » qui les auraient érigés se retrouve par exemple chez Stendhal qui, dans Mémoires d’un touriste, écrivait en 1854 :

Carte postale du début du XXe siècle, on aperçoit la croix © DR

« Il faut noter que ce granit ne se retrouve qu’à plus de trois quarts de lieue de la ville, au Mont-Dol, colline entourée de marécages et qui probablement fut une île autrefois. La pierre du Champ Dolent repose sur une roche de quartz dans laquelle elle s’enfonce de quelques pieds. Par quel mécanisme les Gaulois, que nous nous figurons si peu avancés dans les arts, ont-ils pu transporter une masse de granit longue de quarante pieds et épaisse de huit ? Comment l’ont-ils dressée ? »

Le Champ Dolent, le roman de la Terre

C’est le titre d’une mini-série franco-belge en quatre épisodes qui retrace la vie d’une famille bretonne des campagnes, dans le champ de laquelle se trouve cet incroyable mégalithe. Avec Jean Yanne, Antoine Basler et Yolande Moreau,  parmi de nombreux autres. « Ce téléfilm présente l’évolution du monde rural en France à travers tout le xxe siècle par le biais d’une série de flash-backs. Beaucoup de sujets sont abordés comme la vie pénible à la ferme, le manque de confort, la promiscuité, le travail harassant dans les champs, la mobilisation de la Grande Guerre et le travail des femmes, l’arrivée du progrès social et technique et sa difficile acceptation, l’exode rural, ou encore les on-dit, les ragots du village, les problèmes d’héritage, les secrets de famille honteux et inavouables… »

L’envoyé de Culturius auprès du menhir © photo Grégoire Tolstoï

Le menhir est comme un axis mundi, l’axe autour duquel se déroule la vie des générations. Ce que finalement il a été, ce qu’il est, et ce qu’il sera encore probablement pendant des millénaires. Il draine d’ailleurs dans son sillage de nombreuses légendes forgées au fil des siècles. Selon l’une d’entre elles, chaque personne qui meurt enfonce le menhir imperceptiblement dans la terre. Lorsque le menhir aura entièrement disparu dans le sol, ce sera la fin du monde ! Une autre légende affirme que la lune dévore chaque nuit un petit morceau du menhir. Nous sommes tout de même en Bretagne, terre de légendes et de rêveries poétiques.

La photo du menhir la nuit qui illustre l’article est de © Murph pour le site megalithic.co.uk


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