Pour beaucoup, il est l’auteur de la célèbre nouvelle Carmen, pour d’autres celui de la Chronique du règne de Charles IX; pour moi, il a avant tout écrit La Vénus d’Ille. Mais Prosper Mérimée n’est pas seulement romancier et historien, il est aussi critique d’art, traducteur et épistolier, il fut également sénateur et académicien. L’exposition qui lui est consacrée jusqu’au 18 mars au château de Compiègne évoque tous ces aspects mais insiste sur une autre fonction moins connue de cette personnalité aux talents multiples, celle d’inspecteur des monuments historiques.

Et on découvre ainsi son goût pour les voyages, ses dons de dessinateur et ses connaissances archéologiques. Prosper Mérimée a séjourné dans ce château qui ouvre aujourd’hui ses portes à une œuvre impressionnante de diversité. Il faudra parcourir les différentes salles du château pour découvrir toutes les facettes d’un homme indiscutablement de son temps qui correspondait toutefois à la définition de l’honnête homme tel qu’on le décrivait deux siècles plus tôt.

D’après Anne Louise Moreau, Portrait de Prosper Mérimée enfant © Compiègne, Musée national du château

Carmen a échappé à Mérimée, […]c’est la création d’un mythe moderne

Rodolphe Rapetti

Homme de lettres

Prosper Mérimée est né à deux pas du Panthéon à Paris le 5 vendémiaire de l’an VII (28 septembre 1803) dans une famille bourgeoise et cultivée, sa mère était portraitiste et son père, professeur de dessin. Externe au Lycée Napoléon, il aime les langues mortes et l’histoire antique. Pendant ses études de droit, le jeune homme fréquente le n°1 rue Chabanet, salon littéraire où l’on parle politique et littérature. Le jeune Mérimée lit ses textes devant un auditoire de qualité : Ste Beuve, Viollet-Leduc ou Stendhal l’encouragent. Il supporte Hugo à la première d’Hernani comme il se doit pour le chantre du romantisme, même s’il n’apprécie pas vraiment le style du grand homme qui d’ailleurs le lui rendra bien.

Rue à Pompéi, passant sous un portique, Prosper Mérimée © Paris, musée du Louvre

Il voulait avant tout être reconnu comme un homme de lettres et il se mit tôt à l’ouvrage puisqu’il publia son premier texte, Le Théâtre de Clara Gazul à 22 ans. Cette pièce remporte un certain succès mais c’est dans l’art de la nouvelle que Mérimée excellera avec notamment Colomba (1840) et Carmen (1845) considérées comme ses chefs-d’œuvre, La Double Méprise (1833), Les Âmes du purgatoire (1834) ou La Vénus d’Ille (1837). Il sacrifie à la mode du roman historique avec La Chronique du règne de Charles IX et contribue à introduire en France la littérature russe en traduisant Pouchkine, Gogol et Tourgueniev.

L’exposition au Château de Compiègne © Frédérique Vanandrewelt

Il attribuera ses premières publications à Clara Gazul, comédienne espagnole, puis à un dénommé Hyacinthe Maglanovitch  dont il imaginera les biographies avec force détails qui ne manqueront pas d’attiser la curiosité des lecteurs. Mérimée s’amuse de ces supercheries mais c’est bien sous son véritable nom qu’il publiera la suite de son œuvre marquée par le goût du voyage.
Il situe ainsi les intrigues de Mateo Falcone et de Colomba en Corse, celle de Carmen en Andalousie et Tamango nous emmène en Afrique. Son élection à l’Académie Française en 1844 illustra sa réussite dans le monde des lettres.

Jeanne Gerville-Réache dans le rôle de Carmen, Irving Ramsay Wiles, 1908 © Blérancourt, Musée franco-américain

Homme de pierres

«La place convient fort à mes goûts, à ma paresse et à mes idées de voyage.»

Prosper Mérimée

Prosper Mérimée est nommé inspecteur général des Monuments historiques en 1834 et parcourt le pays sans relâche pour inspecter et répertorier ruines et monuments. Il confie à son ami l’architecte Eugène Viollet-le-Duc la restauration d’un certain nombre d’édifices comme la basilique de Vézelay, la cathédrale Notre-Dame de Paris, la cathédrale d’Amiens ou les remparts de Carcassonne et d’Avignon. Il publie à l’occasion de ses différentes tournées les Notes de voyages (1835-1840) comprenant : Notes d’un voyage dans le midi de la France (1835), dans l’Ouest de la France (1836), en Auvergne (1838) , en Corse (1841). Il accomplit un travail colossal largement illustré dans l’exposition et l’on apprend sans surprise qu’il est à l’origine du Service et de la Commission des Monuments historiques. Il exercera cette mission jusqu’en 1860.

Authon-Ébéon, Pile romaine dite la Pyramide, 1840, Charenton-le-Pont © Médiathèque du patrimoine et de la photographie

L’inspecteur général élabore une méthode de classement des monuments en fonction de leur intérêt historique, de l’intérêt esthétique, de l’état de dégradation et du budget disponible. On commence seulement à considérer qu’il est préférable de réhabiliter les vieux bâtiments plutôt que de les raser pour en reconstruire de nouveaux. La notion de patrimoine est en train d’émerger, la première liste des monuments classés «par ordre d’importance», pour «le caractère de leur architecture et les souvenirs historiques qui s’y rapportent» parut en 1838. La correspondance qu’entretenait Prosper Mérimée avec les différentes personnalités concernées par son activité révèle ses connaissances en architecture et en archéologie et ses qualités de dessinateur. Il contribua sans aucun doute de manière notable au développement de l’archéologie et de l’histoire de l’architecture en France.

Prosper Mérimée en tournée d’inspection des Monuments historiques, Marc Paumier, 1837 © DR

Outre les monuments, Mérimée s’intéresse aussi aux œuvres d’art et il était proche de nombreux artistes dont Eugène Delacroix et Gustave Courbet. Plusieurs œuvres qu’il a analysées pour les salons de 1839 et 1853 figurent dans l’exposition et leurs cartels comportent ses critiques.  Il profite aussi de ses tournées d’inspections pour visiter les musées et les cabinets d’antiquités. C’est ainsi qu’il découvre une statue qu’il décrit dans ses Notes d’un voyage dans le Midi de la France: «C’est à mon sentiment le morceau antique le plus extraordinaire qu’on puisse voir[…] La beauté, la finesse de l’exécution, ce je ne sais quoi de grand qu’un habile statuaire donne à tous ses ouvrages, la rendent encore plus curieuse et remarquable.». Elle sera connue sous le nom de «Aphrodite accroupie ou Vénus de Vienne» et elle inspirera probablement son admirateur puisqu’il écrira La Vénus d’Ille l’année suivante. Il découvrit une autre œuvre de grande renommée depuis : La Dame à la Licorne, magnifique tapisserie dont l’État fit l’acquisition en 1882.

Aphrodite accroupie ou Vénus de Vienne,175-100 av J-C. Paris © Musée du Louvre

Mérimée entretient des liens amicaux avec l’impératrice Eugénie dont il connaît la famille depuis 1830. Il avait fait la connaissance de son père, Don Cipriano, à la faveur d’un voyage en Espagne. Lorsque la comtesse de Montijo, sa mère, l’emmena à Paris avec sa sœur, il s’occupa de l’instruction des deux fillettes. Et il participa même le moment venu aux négociations de son mariage avec l’empereur. Il doit à Eugénie son poste de sénateur en 1853 et participe à «la fête impériale», en particulier à Compiègne où il séjourne régulièrement et jouit d’une suite au deuxième étage, proche des appartements du couple impérial. Il joue alors à la perfection son rôle «d’amuseur» en organisant charades, proverbes et saynètes pour Napoléon III, Eugénie et la cour. On évoque souvent la fameuse dictée que Mérimée aurait imaginée pour distraire les invités du château évoquée dans les Souvenirs d’enfance et de jeunesse de Pauline de Metternich, épouse de l’ambassadeur d’Autriche et intime de l’impératrice. Le prince Richard de Metternich n’aurait commis que trois erreurs alors qu’Eugénie, Pauline et même l’empereur en auraient fait plus de quarante !

Souvenirs d’enfance et de jeunesse, Pauline de Metternich © DR

Prosper Mérimée vit très mal la chute de l’empereur, il vit dans la nostalgie d’une époque révolue. On le décrit vieillissant seul et taciturne entouré d’un chat, d’une tortue et d’une chouette pour seuls compagnons. Une semaine après la proclamation de la république, dans un état de grande confusion, il quitte la capitale pour rallier Cannes où il séjournait régulièrement pour soigner son asthme de plus en plus invalidant. Il s’éteint quelques jours plus tard, le 23 septembre 1870 veillé par Fanny Lagden. Son appartement rue de Lille à Paris brûle lors des incendies de la commune, ses livres, papiers, notes et manuscrits ainsi que tous ses souvenirs dont les tableaux de ses parents partent en fumée.

La princesse Pauline de Metternich, portrait inachevé, vers 1867 © photo Frédérique Vanandrewelt

En 1978, le ministère de la Culture crée la Base Mérimée (une base de données qui inventorie le patrimoine architectural français), ultime hommage rendu à ce pionnier de la sauvegarde du patrimoine national que l’on connaît davantage en tant qu’écrivain. Mérimée était un homme pluriel et ses différentes activités se seront nourri les unes les autres pour donner à sa vie la cohérence d’un regard gouverné par l’esthétisme.

Le magnifique Château de Compiègne qui accueille l’exposition © photo Frédérique Vanandrewelt

Voulez-vous vous mesurer aux invités de l’empereur et de son épouse ? (Napoléon III commit 75 fautes, l’impératrice Eugénie, 62, Alexandre Dumas fils, 24. Seul un étranger, le prince de Metternich, ambassadeur d ‘Autriche, n’en fit que 3.)

À vos stylos !

Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus, les cuisseaux de veau et les cuissots de chevreuil prodigués par l’amphitryon, fut un vrai guêpier.
 
Quelles que soient et quelqu’exiguës qu’aient pu paraître, à côté de la somme due, les arrhes qu’étaient censés avoir données la douairière et le marguillier, il était infâme d’en vouloir pour cela à ces fusiliers jumeaux et mal bâtis et de leur infliger une raclée alors qu’ils ne songeaient qu’à prendre des rafraîchissements avec leurs coreligionnaires.
 Quoi qu’il en soit, c’est bien à tort que la douairière, par un contresens exorbitant, s’est laissé entraîner à prendre un râteau et qu’elle s’est crue obligée de frapper l’exigeant marguillier sur son omoplate vieillie. Deux alvéoles furent brisés, une dysenterie se déclara, suivie d’une phtisie.
 
– Par saint Martin, quelle hémorragie, s’écria ce bélître ! À cet événement, saisissant son goupillon, ridicule excédent de bagage, il la poursuivit dans l’église tout entière.

Buste rétrospectif de Prosper Mérimée, Jean-Paul Aubé, 1872 © photo Frédérique Vanandrewelt

Il vous reste jusqu’au 18 mars pour retrouver Prosper Mérimée au Château de Compiègne.


Retrouvez un autre génie de la littérature française du XIXe siècle dans l’intimité de sa maison : Jules Verne !