Le silence d’Amorgos
Loin du surtourisme qui étouffe les îles voisines, Amorgos résiste. La plus orientale des Cyclades ne se visite pas. Elle se mérite. Affirmer que celle île est le refuge d’esthètes cultivés et spirituels semble prétentieux et pourtant. Célèbre grâce à Luc Besson qui, fasciné, l’a choisie pour réaliser, en partie, son film « Le Grand Bleu » (1988), elle l’est surtout pour son impressionnant Monastère byzantin de Chozoviotissa.
Une île qui appelle la transcendance
Parmi les plus belles pages de l’émouvant Dictionnaire amoureux de la Grèce (Plon, 2001), réalisé par Jacques Lacarrière, grand connaisseur du pays, Un monastère bâti au 11ème siècle on peut lire : « …Quand Ariane et moi- oui, elle s’appelait Ariane,-débarquâmes dans la baie d’Aigiali, du bateau de ligne-le Despoina- desservant Amorgos une fois par semaine, nous crûmes être arrivés sur une île déserte. Une seule maison en vue et pas un être humain ! Il fallut franchir à pied la moitié de l’île pour parvenir à La Chora, la capitale. Je m’y installai chez le boulanger tandis qu’Ariane allait chez la femme du pope, pour écarter d’éventuels soupçons.
Amorgos, un séjour idéal © photo Letizia Missir de Lusignan
Et là, chaque soir, à la taverne de la place, avec l’instituteur, le pope, le tavernier et les convives occasionnels, nous discutions de mille sujets et particulièrement de la poésie byzantine dont le boulanger était un grand lecteur. Il vouait un véritable culte à L’Alexiade, cette œuvre du XIIe siècle de la princesse Anne Comnène relatant la vie de son père, l’empereur Alexis Comnène »…«L’un des lieux les plus pittoresques d’Amorgos est, sur la côte sud, la falaise où s’est édifié jadis le monastère de la Vierge Chozoviotissa, fiché contre la montagne à la façon d’un gigantesque colombier. Je le visitai à plusieurs reprises et je me souviens que les moines-très peu nombreux d’ailleurs- m’offrirent à chaque visite une liqueur de fleurs de citronnier de leur fabrication, qui était une pure merveille… ».
La nature sauvage d’Amorgos © Domaine public
Quelques décennies nous séparent de cette expérience mystique vécue avec intensité par cet écrivain, immense amoureux de la Grèce. Et pourtant, rien ne semble avoir changé autour et à l’intérieur de cet édifice majestueux construit à flanc de falaise sur une hauteur de 300m au-dessus de la mer. J’y reçus aussi des moines cette liqueur à base de raki, de miel, de thym et d’herbes enivrantes de l’île une fois arrivée au sommet du Monastère et après avoir admiré, une à une, la splendeur intacte des icônes si bien préservées.
Des bords de mer tranquilles © Domaine public
J’eus même la chance de rencontrer l’un des célèbres popes qui me raconta- dans la langue de ma grand-mère- l’histoire de l’île et celle du Monastère, né de la main de Dieu. Tout y est absolument merveilleux et harmonieux donnant ainsi la certitude d’une création divine face à laquelle nous ne pouvons rester qu’admiratifs et silencieux. Entre terre et mer, orienté face à l’immensité des cieux, l’horizon éternel semble infini, mêlant toutes les tonalités de blanc et de bleu éclatant. Le dialogue est secret mais si présent en chaque pèlerin venu, ébahi, s’y recueillir, s’émerveiller et prier.
Le monastère © Domaine public
Un monastère bâti au XI ème siècle
Il existe plusieurs versions quant à l’origine de sa construction. Laquelle retenir ? Un document sur lequel est apposé un sceau patriarcal daté de 1583 révèle ceci : « Parce ce que l’endroit de l’île, où se dresse , a présent, ce Monastère sacré et vénéré, était, dans le passé, le refuge des mauvais génies-ce pourquoi les gens du pays le nommaient « lieu du Démon »- une révélation divine aux révérends vieux moines qui furent les premiers à s’y installer, de même que la divine faveur régalienne du mémorable et béni Empereur Alexis Comnène le Grand, ont conduit à la construction, dans son intégralité, sur ce point précis, du magnifique Monastère ».
© Domaine public
D’après plusieurs sources historiques sérieuses, c’est donc au IX e siècle qu’apparait le noyau originel de celui-ci. L’empereur Alexis Comnène serait ensuite à l’origine de son agrandissement dans le courant du XI e siècle. Magnifique, magistral, éblouissant. Les mots ne suffisent pas pour rendre l’atmosphère qui se dégage de l’immensité des lieux. Les marches pavées qui montent vers le Monastère proprement dit, taillées à même le roc, offrent une vue panoramique sur l’horizon lointain. Un sentiment d’éternité envahit. Même le plus fervent des athées ne peut rester indifférent. La porte d’entrée surmontée d’un arc vénitien rappelle la période post-byzantine et italienne. Taillé dans la roche, un passage étroit conduit aux niveaux supérieurs du Monastère que l’on rejoint par de nombreux escaliers très étroits.
Un arc vénitien à l’entrée du monastère © photo Letizia Missir de Lusignan
Au sommet, l’on découvre la petite église construite dans le rocher face à la mer et ses multitudes trésors dans la pénombre d’où s’échappent, jour et nuit, de délicieux fumets d’encens. Des icônes byzantines de toute beauté invitent, une fois encore, à la méditation. Le regard se pose directement sur celle de Notre Dame Khozoviotissa. Icône miraculeuse dédiée à la Vierge Marie, il existe, ici aussi, plusieurs versions quant à son voyage pour rejoindre les côtes amorgiennes. L’une mentionne le fait que celle-ci fut cachée dans une barque pour éviter qu’elle ne soit détruite. Par miracle, le bateau et l’icône arrivèrent intactes sur ce rivage. L’autre légende attribue son arrivée sur l’île grâce aux premiers moines habitant le Monastère, ceux-ci étant originaires de Palestine et plus précisément du Monastère de Khozovà d’où le nom de Khozoviotissa…
© photo Letizia Missir de Lusignan
Des randonnées aux parfums envoûtants
Amorgos ne se visite pas. Elle se mérite. Et la meilleure façon de découvrir sa nature sauvage et intacte, son incroyable flore aux parfums de toutes sortes est la randonnée. En toutes saisons et mieux encore, après les fortes chaleurs de l’été, les sentiers balisés reliant les petits villages blancs perchés dans les montagnes sont absolument délicieux : Tholaria, Langada, Potamos, Chora et ses ruines vénitiennes, Xylokeratidi, Minoa…L’on s’y attarde volontairement et l’on tente de s’y perdre, pourquoi pas, pour admirer les paysages grandioses et visiter de nombreuses églises, pour croiser l’un ou l’autre habitant « très habité » qui partagera, nostalgique, ses secrets millénaires et son histoire viscérale l’attachant à son île minérale et natale sur des airs de zeibekiko …
© photo Letizia Missir de Lusignan
Du nord au sud, d’ouest en est, Amorgos se découvre comme un trésor où l’on comprend pourquoi « on y parle peu ». pourquoi l’île est célèbre pour la plongée. L’immensité de ses eaux translucides se confondant avec le bleu intense de l’horizon offre un spectacle saisissant promettant des bains de mer qui seront autant d’expériences sensuelles presque spirituelles…
Dans un article paru en août dernier, la journaliste Maud Vidal-Naquet écrit : « Tous les amoureux d’Amorgos et la grande majorité des locaux s’inquiètent de l’avenir de l’île. Sa beauté minérale et ses villages pittoresques aiguisent les appétits ». Fort heureusement, un projet d’agrandissement du port principal de l’île afin d’accueillir ferries plus grands et bateaux de croisières a provoqué un lever de boucliers. Espérons qu’Amorgos soit épargnée et- le plus longtemps possible- cette authenticité préservée, afin de continuer à nous offrir ce silence essentiel dans nos folles vies d’aujourd’hui.
Jacques Lacarrière © DR
A lire : Jacques Lacarrière, Dictionnaire amoureux de la Grèce, Plon, 2001. La Grèce, La nouvelle Odyssée. Adéa Guillot et Françoise Arvanitis. Collection l’âme des peuples, 2013. Constantin Cavafis. Choix de poèmes. Traduit par Michel Volkovitch. Editions Aiora, Athènes, 2015.
Cardinal Robert Sarah, Nicolat Diat. Préface du pape Benoît XVI. La force du silence. Contre la dictature du bruit. Editions Pluriel, 2017.
Nikos Aliagas, L’Epreuve du temps, Ed. La Martinière, 2018. Un livre photographique de toute beauté. Une multitude de textes et des citations émouvantes.
Sur place : se procurer le livre : Randonnées pédestres à Amorgos dans lequel sont indiqués les différents chemins de randonnée.
Les couleurs de la Grèce © Vigla Hotel
Où poser ses bagages ?
Le Vigla Hotel ravit grands et petits. Situé au nord de l’île, dans le village de Tholaria, il offre un confort absolu. Les chambres, très joliment décorées, invitent, une fois de plus, au silence et à la méditation. Partout où l’œil se pose, l’horizon est présent. D’un côté, les majestueuses montagnes, de l’autre, la mer. Et à quelques mètres de celui-ci, l’escalier blanc immaculé menant directement au cœur du village. Ce charmant hôtel est tenu par une famille adorablement soudée désirant offrir le meilleur d’Amorgos à ses visiteurs : gastronomie de l’île dans les cuisines d’où s’échappent de subtils parfums toute la journée (on y donne même des cours pour les passionnés !), petits déjeuners grecs aux produits biologiques absolument délicieux. L’équipe est aux petits soins pour satisfaire le moindre de vos souhaits. www.vigla-amorgos.com. La baie de Levrossos promet une halte de rêve dans un environnement où l’on oublie totalement le temps..
Une scuplture d’Antinoüs, l’amant d’Hadrien © Domaine public
Que mettre dans ses bagages ? Les Mémoires d’Hadrien, merveilleux livre de Marguerite Yourcenar, grande amoureuse de la Grèce antique. Un recueil de poèmes de Georges Séféris, poète grec lauréat du prix Nobel de poésie en 1963.
A voir : tous les films d’Angelopoulos (sans exception), « l’île », le documentaire et « film poème » de Julia Laurenceau, jeune réalisatrice française éperdument amoureuse d’Amorgos. Dans son film, on ressent comme elle le dit si bien « le rapport très fort des Amorgoéens à leur île ainsi que leur rapport au temps et à l’espace si lointain du nôtre ».
Découvrez sur Culturius le nouveau Musée Maria Callas à Athènes !