Pourquoi voit-on tant d’éléphants à Copenhague et au Danemark ? D’où leur vient cet amour immodéré du sympathique pachyderme que l’on rencontre représenté dans les rues et les musées? Nous avons enquêté dans les couloirs du Temps sur l’origine de cette passion danoise.

L’éléphant-Roi

Au Royaume du Danemark, dans lequel il n’y a rien de pourri, n’en déplaise à Shakespeare, le mot roi se dit kong, équivalent de king en anglais. On peut dès lors affirmer que l’éléphant est le King-Kong danois car il règne sur les cœurs. Pourtant, au pays des vikings, on ne doit pas en avoir vu beaucoup, ou peut-être des éléphants roses en fin de soirée, comme partout ailleurs. A part la plus célèbre résidente danoise au Kenya, Karen Blixen, qui les a admirés dans leur milieu naturel, de mémoire d’éléphant on en a rarement vus entre la Mer du Nord et la Mer Baltique. Ou alors il y a bien longtemps et ils étaient laineux.

Pour trouver la trace du premier éléphant danois il faut remonter aux années 1460 quand le roi Christian Ier de Danemark décide d’instaurer un ordre royal de chevalerie destiné aux princes de sang royal et aux rois. Pour illustrer le bijou de l’ordre son choix se porte sur un animal noble et majestueux, fidèle et puissant, en un mot : la force tranquille. Et comme à l’époque le Danemark est catholique, la décoration représentera la Vierge Marie et l’Enfant Jésus portés par des éléphants. L’Ordre de l’Eléphant est né.

L’Ordre de l’Eléphant

C’est évidemment l’ordre le plus important de la Couronne danoise, et son prestige rayonne dans tous les pays scandinaves. L’ordre est mis en sommeil pendant la Réforme protestante du XVIème siècle, mais au bout de quelques dizaines d’années il est restauré en 1580 par le roi Frédéric II en tant qu’ordre protestant. La Vierge et le petit Jésus sont remplacés par un seul éléphant portant une tour, l’éléphant symbolisant maintenant la chasteté et la pureté. C’est pourquoi il est blanc. Attention : il existe aussi un Ordre de l’Eléphant Blanc, mais c’est un autre ordre royal qui n’a rien à voir, et qui est thaïlandais.

La reine Margrethe II porte le grand collier de l’Ordre au palais Amalienborg à Copenhague le 1er janvier 2023

L’Ordre de l’Eléphant présente plusieurs particularités. Il n’existe qu’une seule classe, celle des chevaliers, contrairement à la plupart des ordres qui ont des degrés différents. C’est donc un ordre égalitaire. Ensuite lorsque le chevalier meurt ses descendants ont l’obligation de renvoyer collier et insigne à l’expéditeur. Exceptionnellement on peut y déroger, par exemple l’insigne du roi Louis XVIII est exposé au Louvre. Enfin c’est un des rares ordres à disposer de sa propre chapelle, celle-ci est au château de Frederiksborg.

Plaques de chevaliers dans la chapelle de Frederiksborg.

Les exigences héraldiques éléphantesques

J’ai pu visiter la chapelle de l’ordre au château de Frederiksborg, elle est hiératique et il est vrai que l’on ne s’y promène pas comme un éléphant dans un magasin de porcelaines. Les murs sont couverts jusqu’au plafond d’armoiries, car depuis le XVIème siècle il y a eu pas mal de chevaliers. En effet, tous les chevaliers sont tenus de communiquer leurs armoiries et leur devise afin qu’elles soient exposées sur une plaque dans ladite chapelle.

Problème : certains récipiendaires de l’ordre n’ont pas d’armoiries de famille, comme par exemple des chefs d’Etat contemporains, François Mitterrand ou Lech Walesa. Dans ce cas on leur en dessine spécialement pour eux, comme vous le voyez dans les photos ci-dessous.

Seuls la Suède et le Royaume-Uni possèdent ce genre de chapelle d’ordre. Parmi les heureux récipiendaires de l’Ordre, notons : l’empereur Napoléon, le Danois prix Nobel de physique Niels Bohr, l’amant de Catherine II Grégoire Potemkine, ou plus près de nous Emmanuel Macron qui portait récemment l’Ordre lors du discours d’accueil en français de la reine du Danemark, les rois Albert II et Philippe des Belges, et les reines des Belges Paola et Mathilde, car l’Ordre est mixte. D’ailleurs la dernière en date à avoir été reçue dans l’Ordre est la princesse Ingrid Alexandra de Norvège en 2022.

L’autre grand ordre danois est l’Ordre du Dannebrog, qui porte le nom du drapeau danois, le plus ancien drapeau du Monde. Dannebrog veut dire vêtement rouge. Bien que plus récent (1671) il partage de nombreuses règles en commun avec l’Ordre de l’Eléphant et les armoiries de ses récipiendaires se trouvent aussi dans la même chapelle.

Dessin ancien du collier de l’Ordre.

On n’est jamais si bien servi que par soi-même.

L’incroyable catafalque aux éléphants

La reine actuelle, Margrethe II, est elle aussi fan des éléphants, et elle le prouve. Bien sûr, elle est le Grand Maître de l’Ordre de l’Eléphant et on la voit régulièrement porter le grand cordon de l’ordre aux cérémonies officielles. Mais cela va plus loin.

Peut-être vous êtes-vous demandé ce que vous voulez qu’il advienne de votre corps après votre mort ?  Enterrement ou crémation, musiques et autres animations de circonstances. Eh bien, vous n’êtes pas les seuls à y penser, et la reine du Danemark a déjà tout prévu. Elle s’est fait faire un incroyable catafalque sur mesure en verre bleu et qui repose sur trois têtes d’éléphant en argent !

Sarcophage aux éléphants de la reine Margrethe II à Roskilde

Le monument, œuvre de l’artiste Bjorn Norgaard, se trouve depuis 2018 dans la cathédrale de Roskilde, nécropole de la famille royale danoise depuis le XIVème siècle. Il n’est jamais trop tôt pour bien s’organiser, et la reine, pas superstitieuse pour un sou, est ravie de pouvoir visiter quand elle veut sa future demeure éternelle. C’est un beau deux places, car il était prévu à l’origine pour la reine et son mari le prince consort Henrik. Celui-ci n’en a finalement pas voulu et, décédé depuis, a choisi la crémation. Ses cendres ont été pour moitié dispersées en mer, et pour l’autre moitié enterrées au château de Fredensborg près de Copenhague.

La reine Margrethe n’a pas changé son projet et prendra un jour ses derniers quartiers à Roskilde. On peut voir au travers des parois de verre leurs deux gisants qui se trouvent déjà allongés côte-à-côte. Par-dessus on a disposé des bronzes dorés qui évoquent les grands moments de leurs vies au moyen d’allégories et de symboles héraldiques. Pour ceux qui se demandent si la dépouille de la reine sera placée sous verre transparent, qu’ils se rassurent : la boîte est purement décorative, la reine sera enterrée dans une crypte juste sous ce monument.

Un éléphant ça trompe énormément.

La Porte des Eléphants de Carlsberg

Les éléphants de Carlsberg sont aussi un des monuments connus de Copenhague. Les anciennes brasseries Carlsberg possèdent une porte monumentale gardée par quatre pachydermes géants sculptés dans le granit. Ils sont l’œuvre du sculpteur Vilhelm Dahlerup et ont été commandés en 1901 par le directeur des brasseries à l’époque, Carl Jacobsen, fils du fondateur de Carlsberg. C’était un grand voyageur et passionné des Indes, c’est pourquoi on s’étonnera peut-être de voir deux immenses svastikas gravées sur les flancs des éléphants, des croix gammées, qui sont dans ce contexte un hommage à la culture indienne, sans aucun lien avec le nazisme qui utilisera ce symbole bien plus tard.

Il y a aussi chez Carlsberg une bière appelée « Eléphant », forte bien entendu (7.2°). Dans le zoo de Copenhague se trouve la « Maison des éléphants », un grand enclos avec un étang, au bord duquel vit une petite famille : papa, maman, un éléphanteau et sa grand-mère, c’est du moins comme cela que je les ai identifiés quand je leur ai rendu visite. Malgré la taille de l’enclos, finalement pas si grand pour d’aussi imposants animaux,  je leur ai trouvé un air triste, aussi ai-je décidé de ne pas publier de photos des prisonniers.

Les éléphants sont partout, au détour d’une rue, sculptés sur une façade de maison, sur les timbres-poste ou à l’exposition Fabergé au Palais Amalienborg par exemple. Amusez-vous à les découvrir en flânant dans cette belle ville de Copenhague.

Le sarcophage aux éléphants en images :